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Comment le lobby chimique a squatté l’avant-première de La Grande Invasion

Hier soir, c’était l’avant-première de La Grande Invasion à la Cité des sciences.

Une projection-débat à laquelle environ 200 personnes ont assisté. Une grande joie et une grande fierté pour toute l’équipe qui a travaillé sur ce film.

Ma joie à moi, je dois dire, avait été quelque peu entamée ces dernières semaines. Car la Cité des sciences nous avait imposé la présence d’un éminent représentant du lobby chimique français, M. Jean Pelin, comme intervenant du débat. Le récit de cette espèce de prise d’otage idéologique est aussi et surtout l’occasion de vous raconter comment fonctionne vraiment ce drôle de musée.

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Les intervenants du débat étaient :

Bernard Jegou, biologiste et toxicologue de la reproduction, président du conseil scientifique de l’Inserm et directeur de l’Institut de recherche sur la santé, l’environnement et le travail (IRSET).

> Stéphane Sarrade, chercheur au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), en charge du Département de Physico-Chimie du Centre de Saclay, impliqué dans le développement d’éco-procédés dans le domaine de la Chimie verte.

Jusqu’ici, tout va bien.

> et donc JEAN PELIN, directeur général de l’Union des industries chimiques (UIC), le lobby de l’industrie chimique en France.

[De gauche à droite : Karine Le Loet, journaliste à Terra Eco, qui animait le débat, Stéphane Sarrade, Jean Pelin, Bernard Jegou, et ma pomme]

Qui l’avait invité ? Que diable faisait-il là ? Excellente question. En décembre dernier, nous nous mettons d’accord avec la Cité sur les intervenants du débat. Puis, courant janvier, la Cité nous informe qu’elle a aussi invité Jean Pelin. Nous ne sommes pas d’accord. Mais cela, la Cité n’en a que faire. Il sera là, point barre. Protestations et échanges saumâtres ni feront rien. Si notre désaccord persiste, nous explique la Cité, c’est que nous voulons annuler la projection. Des manières assez perverses qui reviennent à nous demander de nous tirer nous-mêmes une balle à rhinocéros dans le pied. Réorganiser une projection ailleurs et à l’arrache, c’est loin d’être évident. Donc, nous n’avons pas vraiment le choix. C’est l’avant-première de mon film, et je n’aurais pas mon mot à dire ?

Pour moi qui travaille depuis des années sur l’influence calamiteuse de l’industrie sur les politiques de santé publique, la situation est tellement choquante qu’elle relève presque du gag karmique. C’est un peu comme si le LEEM (le lobby de l’industrie pharmaceutique) avait été invité contre notre gré à l’avant-première des Médicamenteurs. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de refuser la présence des industriels par principe. Nous avons proposé des alternatives : un ingénieur qui a travaillé au remplacement du bisphénol-A dans les biberons, par exemple. Voilà qui aurait été certainement plus intéressant que le représentant d’un lobby. Lobbying, ça veut dire « groupe  de pression », dixit le petit Robert. Les naïfs sur le sujet pourront utilement lire cette interview de Roger Lenglet, auteur de plusieurs enquêtes édifiantes sur les pratiques du lobbying. Le boulot de Jean Pelin, donc, c’est de défendre les intérêts de l’industrie chimique. J’eusse préféré – et le public aussi j’imagine – un groupe de pression qui défend les intérêts de la santé publique.

Fumasse, je me replonge dans une petite enquête que j’avais commencée pour Les Médicamenteurs, le livre.

À cette époque (on est en 2008), la Cité des sciences propose une exposition qui s’appelle Epidemik. Pas besoin de lunettes pour lire, tout en bas des affiches : « en partenariat avec Sanofi-Aventis », le géant pharmaceutique français. La commissaire de l’exposition, Anne Stephan me raconte alors comment Sanofi, membre du conseil scientifique de l’expo, s’était impliqué dans le contenu – en toute innocence. Pour l’une des animations, qui se présentait sous la forme d’une mappemonde, Sanofi avait lourdement insisté pour qu’une place soit faite au diabète, « une épidémie », selon lui. Le labo avait alors un médicament contre le diabète à vendre, le célèbre Acomplia, retiré du marché européen le 23 octobre 2008 parce qu’il rendait les patients dépressifs, voire suicidaires – des « troubles de l’humeur », disent les notices. Précisons que les efforts de Sanofi avaient été vains.

Mais que faisait Sanofi-Aventis dans le conseil scientifique de l’expo Epidemik ? Tout le monde a tendance à oublier que le nom complet de la Cité est : la Cité des sciences ET DE L’INDUSTRIE. Et pour ses expositions, la Cité pioche dans un pool de mécènes, regroupés sous le nom de Fondation Villette Entreprise. On trouve là les principaux grands groupes français de l’industrie chimique, automobile, cosmétique, pharmaceutique et même l’armement avec Dassault. Tout irait pour le mieux si leurs interventions étaient désintéressées. Or, elles ne le sont pas. Et l’Union des industries chimiques (UIC) de Jean Pelin fait partie de cette fondation.

Le rapport d’activité 2009 de la Cité des sciences liste, page 115, les dernières expositions et leurs sponsors industriels. Entre autres, « La terre et nous » avec Véolia Environnement, « Énergie » avec Areva et Total, qu’on ne présente plus. Et cerise sur le gâteau : depuis quatre ans, Servier, membre de la Fondation Villette Entreprises, laboratoire créateur du tragique Mediator, organise « Les coulisses du médicament », « une opération d’information sur les carrières du secteur de la recherche » destinée aux lycéens (Télécharger leur document ici). C’est dire à quel point on est en bonne compagnie à la Cité des sciences et de l’industrie.

La Cité est financée par l’État à hauteur de 94 millions d’euros (chiffre 2009) et la contribution des industriels représente moins de 10% en moyenne chaque année. La Cité est un EPIC –  établissement public à vocation industrielle et commerciale – sous tutelle du ministère de la recherche et  de la culture. Mais de toute évidence, elle préfère réserver sa courtoisie à ses financeurs privés.

« La Fondation Villette-Entreprises a joué un rôle essentiel souvent bien au-delà de sa mission qui est de contribuer à la diffusion de la culture scientifique et technique auprès des jeunes et du grand public », est-il écrit dans ce même rapport d’activité. Oui, bien au-delà, c’est certain.

Bref. Revenons à hier soir, à mon grand étonnement, Jean Pelin semblait bien plus nerveux que moi. Il s’était même déplacé avec une demi-douzaine de collaborateurs, dont une chargée de communication venue lui apporter ses petites fiches en pleine réunion de préparation. Pendant le débat, il regardait compulsivement son téléphone – sur lequel il recevait peut-être des idées d’arguments de la part de cette petite bande (qui ricanait bruyamment à l’évocation de Greenpeace). Et puis le détail qui flingue : avant de monter sur l’estrade, il s’est penché vers ses gens, bras droit plié vers le haut, poing fermé, la main gauche posée dans le creux du coude – un bras d’honneur, on appelle ça, je crois. Prix Nobel de l’élégance.

Liste complète des industriels de la Fondation Villette Entreprises :

Air France / Air Liquide / Rio Tinto Alcan / Bureau de recherches géologiques et minières / Bull / Cea (Commissariat à l’énergie atomique) / CEFIC (European Chemical Industry Council) / CGG Veritas / Dassault Systèmes / DGA (Délégation générale pour l’armement – ministère de la Défense) / Digimind / DuPont de Nemours / EADS / Eco-Emballages / Essilor International / FIEEC (Fédération des industries électriques et électroniques et de de télécommunications) / France télécom / Hermès / IPF énergies nouvelles / Institut de l’entreprise / LEEM (Les entreprises du Médicament) / L’Oréal / MAIF / Météo France / Michelin / Philips France / PSA Peugeot Citroën / RATP / Renault / Rhodia / Sanofi-Aventis / Schlumberger / Servier / Siemens France / SNCF / Thales / Total / UIC (Union des industries chimiques) / UIMM (Union des industries et des métiers de la métallurgie)

La grande invasion – Avant-première

Projection-débat de La Grande Invasion le 10 février 2011 à la Cité des sciences et de l’industrie à 18h30. L’entrée est libre. Le dossier de presse et le programme sont téléchargeables ci-dessous.

RÉSUMÉ

Notre quotidien le plus banal est farci de produits chimiques. Incrustés dans les plastiques, les détergents et les grille-pains, nichés dans les aliments, les boîtes de conserve, les jouets, les shampooings, ils sont invisibles et partout à la fois, y compris dans nos corps.

La société de consommation et la magie pétrochimique se baladent dans nos petits intérieurs sous des noms strictement inconnus et parfaitement barbares. Phtalates, retardateurs de flammes bromés, parabens, bisphénol-A ont pour fâcheux inconvénient de cambrioler notre intimité hormonale : ce sont des perturbateurs endocriniens. Pour les scientifiques reconnus qui interviennent dans ce documentaire, cette imprégnation chimique n’est pas étrangère au développement des maladies dites modernes – du cancer du sein à l’obésité.

Le constat, plutôt grave, n’empêche pas le film de prendre le parti du second degré. Oscillant entre humour grinçant et poésie, des animations en papiers collés montrent les destins parallèles des humains et des animaux de laboratoire. Allégories de la frénésie du progrès, des archives commerciales des années 1950-60 où l’on danse au milieu des réfrigérateurs deux portes, l’air radieux, racontent l’histoire d’amour de l’homme moderne avec le confort plastique et l’abondance électroménagère.

Un biberon pour la route

Totalement passé inaperçu, cet article publié par le Canard Enchaîné du 19 novembre 2009. Il raconte pourtant que l’Agence française de sécurité sanitaire de l’alimentation (AFSSA) a rendu, le 13 novembre, un avis très rassurant sur l’utilisation des biberons en plastique. Et que la moitié des membres de son comité d’experts est liée à l’industrie.

Un avis plutôt original, si l’on pense que le gouvernement canadien a interdit les biberons en plastique en octobre et que la secrétaire d’État chargée de l’Écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, avait elle-même évoqué, quelques jours auparavant, la possibilité de lui emboîter le pas.

[03 décembre 2008]

Où se cachent les phtalates ?

Beaucoup d’entre vous atterrissent ici parce qu’ils cherchent des informations sur les phtalates.

Je vous invite à lire mon livre – La grande invasion –  si voulez en savoir plus sur la questions des polluants chimiques, des perturbateurs endocriniens, et des risques qu’ils présentent pour la santé. Pour vous mettre en appétit, vous pouvez consulter ici le sommaire.

En attendant, voilà quelques repères sur cette question. Vous trouverez plus bas une liste des produits pouvant contenir des phtalates.

Les phtalates sont des ingrédients chimiques qui servent de plastifiants et rendent la matière flexible. Il en existe une dizaine, plus souvent désignés sous leurs noms abrégés que par leur dénomination complète : DEHP (plutôt que diéthylhexyl phtalate), DBP, BBP, DIDP ou encore DINP. Une complexité qui n’aide certainement pas le grand public à s’y retrouver. Pratiquement tous les produits en PVC en contiennent. La matière plastique d’un rideau de douche, par exemple, peut contenir jusqu’à 40 % de phtalates. Il y en a dans les jouets. Les cosmétiques en contiennent, mais inutile de décrypter le liste des composants : ils n’y figurent jamais. Amateurs de sexe accessorisé, sachez que les godemichés, vibromasseurs et autres sex toys peuvent contenir jusqu’à 70% de phtalates. C’est l’équipe néerlandaise de Greenpeace qui l’a découvert en 2006.

Les phtalates sont rapidement métabolisés et éliminés par le corps, en 12 heures en moyenne. Mais la quasi totalité de la population en a en permanence dans le sang. Presque 100 % des 2 540 Américains testés par les Centers for Disease Control (CDC) ont les métabolites de plusieurs phtalates dans leurs urines [1]. Ce qui signifie que l’exposition des humains aux phtalates est continuelle. Ils sont détectables dans le sang, l’urine, le lait maternel, le liquide amniotique, le cordon ombilical.

Chez les rats de laboratoire, une exposition in utero aux phtalates provoque une masculinisation incomplète. Cet effet possède ce que l’on appelle des “marqueurs” physiologiques. Parmi ces marqueurs : la distance entre l’anus et la base du scrotum, censée être deux fois plus importante chez les mâles que chez les femelles, humains compris, est diminuée. En laboratoire, on considère donc la « distance ano-génitale » comme un critère anatomique de l’exposition aux phtalates. Je vous vois sourire, c’est bien naturel. Mais ça ne va pas durer. Car c’est d’abord chez les rongeurs que cette anomalie a été repérée. Et c’est ensuite qu’elle a été remarquée chez les humains. Chercheuse au département d’obstétrique et de gynécologie à l’université de Rochester, aux États-Unis, Shanna Swan a réalisé une grande étude sur l’exposition des bébés aux phtalates. Elle a examiné 134 petits garçons âgés de 2 à 36 mois, mesuré leur distance ano-génitale, envoyé leurs échantillons d’urine aux CDC. Non seulement aucun bébé ne semble pouvoir venir au monde sans être déjà chargé de phtalates (95% des nouveaux-nés), mais ceux qui présentaient une distance ano-génitale réduite et une descente incomplète des testicules (cryptorchidie) avaient nettement plus de phtalates dans les urines. Plus inquiétant : la concentration médiane de ces phtalates se situait en dessous de celle que l’on détecte habituellement chez un quart des femmes américaines [2]. Ah, et puis il y a tout juste un mois, la même chercheuse publiait un nouvel article dans lequel elle expliquait avoir également  constaté une légère diminution de la taille du pénis chez ces bébés [3]. Là, vous ne rigolez plus du tout.

Peu de mesures ont été prises à l’encontre de ces substances dont la dangerosité est pourtant connue et bien étudiée. Cependant, une directive européenne impose des restrictions sur les jouets que les plus petits d’entre nous peuvent porter à leur bouche. Depuis janvier 2007, aucun jouet ou article de puériculture destiné aux enfants de moins de trois ans ne doit contenir plus de 0,1 % de DEHP, de DBP et de BBP. Moins restreints, le DINP, le DIDP et le DNOP ne sont plus autorisés dans les objets qui se mettent dans la bouche [4].

Mais les bébés, petits inconscients, regardent-ils si leurs jouets ont été fabriqués avant la mise en place de cette réglementation ? Savent-ils si l’objet qu’ils mettent dans leur bouche est vraiment conçu dans ce but ? Demandent-ils une dérogation avant d’engloutir le pied d’une poupée appartenant à leur sœur aînée ? Qui a observé plus d’une minute un enfant le sait bien : les mômes n’en font qu’à leur tête. Ils suçotent ce qu’ils veulent, avec un penchant particulier pour ce qui n’est pas prévu pour, à en croire la liste des objets victimes de leur curiosité buccale, établie par des experts mandatés par la commission européenne en 2002 : cintres, crayons, câbles électriques, magnet de frigo, et même chaises [5]. Qui peuvent, eux, contenir les phtalates interdits.

StH.

Type de produits pouvant contenir des phtalates :
Le symbole du PVC est le numéro 3 dans le triangle de recyclage.

Adhésifs, aérosols, anneaux de dentition, bâches, ballons, baskets (Reebok a supprimé le PVC ; Nike, Adidas et Asics s’y sont engagés), bottes de pluie, chaussures, colles, couches, couvertures plastifiées, cuir synthétique, détergents, dallages, déodorants, encens et désodorisants en aérosol, encres d’impression, gants en plastique, gels, laques et mousses pour cheveux, godemichés et vibromasseurs, encres, films alimentaires, fils et câbles, imperméables, impressions et motifs sur vêtements (H&M a supprimé le PVC), insecticides, joints, jouets, lotions après-rasage, lotions pour le corps, lubrifiants, matériel hospitalier (cathéters, équipements de dialyse, gants, poches à sang, tubes etc.), médicaments, nappes, pailles, parfums, profilés (cadres pour fenêtres), protections murales, rideaux de douche, savon, scoubidous, semelles de chaussures, shampoings, solvants, tissu enduits, tissus imperméables, tongs, tuyaux, tuyaux d’arrosage, vernis à ongle, vêtements, zodiacs.
Sources : BEUC, INERIS, INRS, Greenpeace, Institut National De Santé Publique Du Québec, Union Européenne.

Références :

[1]Silva MJ et al. « Urinary levels of seven phthalate metabolites in the U.S. population from the National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES) 1999-2000 », Environ Health Perspect. 2004 Mar ; 112(3) : 331-8.

[2]Swan SH et al. « Decrease in anogenital distance among male infants with prenatal phthalate exposure ». Environ Health Perspect. 2005 Aug ; 113(8) : 1056-61.

[3]Swan SH. “Environmental phthalate exposure in relation to reproductive outcomes and other health endpoints in humans”. Environ Res. 2008 Oct;108(2):177-84.

[4] Directive 2005/84/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2005 modifiant pour la vingt-deuxième fois la directive 76/769/CEE du Conseil concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la limitation de la mise sur le marché et de l’emploi de certaines substances et préparations dangereuses (phtalates dans les jouets et les articles de puériculture).

[5] Norris B. Smith S. Research into the mouthing behavior of children up to 5 years old. Consumer and competition policy directorate, Londres, juillet 2002.

[26 novembre 2008]

Homo Toxicus


Il fallait au moins une Québécoise pour faire un film comme celui-là. Documentaire de 90 mn, Homo Toxicus raconte notre prise en otage par les substances chimiques, avec le sourire et le délicieux accent de Carole Poliquin. En jouant la citoyenne lambda faussement naïve, la réalisatrice explore les différents enjeux de la problématique.

Tout commence par une prise de sang qui relève plus de 100 polluants chimiques dans ses veines. Suivie par la caméra, elle part demander à des scientifiques à quoi correspondent ces noms imprononçables, et à quels risques elle s’expose en les hébergeant dans son corps.

L’objet de ce post n’est bien sûr pas de vous raconter le film. Mais je ne décrirai que la première séquence, particulièrement frappante. Choquante, même. Carole Poliquin embarque pour le Nunavik, la Grand Nord canadien. On le sait depuis la fin des années 1980 et les travaux du chercheur Eric Dewailly [1] : la pollution chimique touche les populations arctiques plus que nous autres. Le DDT, les PCB, dioxines et autres polluants persistants (ou produits organiques persistant – POP, interdits par la convention de Stockholm) sont portés jusqu’à eux par les courants atmosphériques. Grands pêcheurs et chasseurs, les habitants du grand Nord se contaminent davantage en mangeant la viande des baleines, phoques, narvals, morses, ours. Animaux dont les graisses accumulent justement les POP [2].

Voilà donc Carole Poliquin dans le village de Palaqsivik où les petits inuits rigolent dans la neige. Mais dans la salle de classe, l’institutrice est branchée sur micro, façon téléopératrice. Une enceinte est fixée au mur. Plusieurs enfants portent des appareils auditifs. Ils entendent mal. Dans cette région, les petits sont touchés par des otites à répétition. Selon Eric Dewailly, c’est l’exposition à de fortes doses de polluants pendant la grossese et via le lait maternel qui pourrait contribuer à l’affaiblissement du système immunitaire des enfants et provoquer cet excès d’infections [3].

Une séquence mémorable, comme beaucoup d’autres moins tragiques, dans ce film très réussi. On voit Carole Poliquin jouer au Scrabble et faire des mot compte double avec p-o-l-l-u-t-i-o-n qui croise a-s-t-h-m-e, d’où part h-o-r-m-o-n-e-s. Ou organiser un buffet toxique en pleine rue pour proposer aux passants salades de thon blanc au mercure, filets de doré aux retardateurs de flammes ou encore sandwiches aux phtalates. Un aperçu ?

À ce jour, aucune diffusion n’est prévue en France. La réalisatrice vient d’achever une tournée-marathon de 15 jours chez nous pour présenter son film dans des salles combles. En attendant qu’une chaîne de télévision ne se décide à acheter le film, vous pouvez vous rendre sur le site du film et même acheter le DVD.

StH

[1] Dewailly E et al. « High levels of PCBs in breast milk of Inuit women from arctic Quebec », Bull Environ Contam Toxicol. 1989 Nov ; 43(5) : 641-6.

[2] Pour plus de détails sur la pollution des populations et de la faune du Grand Nord, voir le site de l’Arctic Monitoring and Assessment Programme (AMAP) et le site du plan national de mise en œuvre du Canada au titre de la convention de Stockholm sur les pollunats organiques persistants (en français).

[3] Dallaire F et al. « Acute infections and environmental exposure to organochlorines in Inuit infants from Nunavik », Environ Health Perspect. 2004 Oct ; 112(14) : 1359-65.

[23 novembre 2008]

Mâles en péril

« Les problèmes de l’appareil reproducteur masculin sont aujourd’hui potentiellement aussi graves que le réchauffement climatique. »

Niels SKAKKEBAEK directeur de recherches, Hôpital universitaire de Copenhague, Danemark.

Le documentaireMâles en péril, réalisé par Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade, sera diffusé sur Arte mardi 25 novembre. Si vous voulez tout comprendre en 52 minutes sur les polluants chimiques et leur impact sur la santé – la fertilité en particulier – ne ratez pas ce film exceptionnel qui pose (enfin) les bonnes questions sur cette problématique largement ignorée par les médias français.

Plutôt que de paraphraser le dossier de presse, je vous laisse le télécharger.

Pour voir des extraits, la liste des intervenants, une interview des réalisateurs etc., le site consacré au film.

Les bande-annonces d’Arte sont là :

Le sujet

– Depuis 50 ans, la production de spermatozoïdes dans l’espèce humaine a diminué en moyenne de 50 %.
Pourquoi ?

– Dans les pays occidentaux, le nombre de cancers du testicule ne cesse de croître. Au Danemark, on constate une hausse vertigineuse de 400 % en soixante ans.
Pourquoi ?

–  Le nombre de malformations congénitales de l’appareil reproducteur masculin augmente également.
Pourquoi ?

[Ce graphique montre l’augmentation de l’incidence du cancer des testicules depuis les années 1940 dans huit pays nordiques. Nombre de cas pour 100.000 personnes. Issu de Richiardi L et al. Testicular cancer incidence in eight northern European countries: secular and recent trends. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev. 2004 Dec ; 13 (12) : 2157-66.]

– Des populations de poissons de certaines rivières se féminisent. De plus en plus de malformations sexuelles et de cas de stérilité sont observés chez les phoques, les oiseaux, les alligators, les grenouilles… Des études sur la faune montrent une dévirilisation croissante.
Pourquoi ?

Féminisation de la nature d’un côté, diminution du nombre de spermatozoïdes chez l’homme de l’autre. Des événements bizarres et inquiétants entre lesquels personne, pendant longtemps, n’avait pensé ou osé établir un lien.
Et si toutes ces observations avaient une origine commune ?

C’est l’hypothèse audacieuse de nombreux scientifiques tant aux États-Unis qu’en Europe. Ils sont persuadés que certains facteurs environnementaux sont responsables de ces pathologies et de ces malformations. Au banc des accusés, de nombreuses molécules mises sur le marché par l’industrie chimique : PCB, DDT, retardateurs de flamme, phtalates, pesticides … Liste non exhaustive de composés chimiques qui agissent sur le système hormonal (on les désigne sous le terme un peu barbare de « perturbateurs endocriniens ») et qui provoqueraient ainsi une féminisation du monde… La gravité des faits rapportés impose que l’on s’y intéresse de très près car la fertilité, et donc l’avenir de l’humanité est en jeu… Si ces scientifiques ont raison, ce sont des pans entiers de notre mode de consommation qu’il faudra repenser. Un véritable défi face au puissant lobbying industriel, un débat qui se déplace sur le terrain politique.

Récompenses

Ce film a obtenu le prix Europa 2008 dans la catégorie “Meilleur programme télévisé d’actualité” et le prix des lycéens au Festival Pariscience 2008 (Festival international du film scientifique).

L’origine du film

Ce film a commencé dans un laboratoire de recherche de  Boston. Nous tournions La Guerre contre le Cancer lorsqu’Ana Soto, biologiste spécialisée dans le cancer du sein, sortit de son emballage un tube en matière plastique : un vulgaire tube dont se servent tous les techniciens de laboratoire. Mais celui-ci  était extraordinaire :  depuis que son fabriquant en avait changé la composition, il avait la capacité de faire se multiplier les cellules  cancéreuses. le plastique contenait un élément qui agissait comme  des hormones !

Ainsi des molécules réputées inertes pouvaient imiter les hormones et donc tromper notre corps …  À partir de ce tube de plastique, nous nous sommes lancés sur la piste  de ces molécules. Elles sont nombreuses, découvertes le plus souvent  par hasard, on les appelle aujourd’hui des « perturbateurs endocriniens ». Les scientifiques que nous avons rencontrés et filmés dans cette enquête sont des personnages étonnants. Face à des données inattendues, ils ont su se remettre en cause et être créatifs ; au moment de publier leurs résultats, ils ont  su résister aux pressions des industriels. Aujourd’hui, ils n’hésitent pas  à sortir de  leurs laboratoires pour porter le débat sur la place publique.

Car la découverte de ces « perturbateurs endocriniens » interroge. En premier lieu les  pouvoirs publics : comment contrôle-t-on les milliers de molécules chimiques fabriquées  par l’homme depuis 50 ans ? Des molécules lancées sur le marché avec pour seules  analyses… celles effectuées par les industriels eux-mêmes !

Elle interroge également les citoyens que nous sommes sur la qualité de notre environnement. Sur tous ces objets  indispensables à notre confort quotidien et qui auraient… peut-être… un effet sur la reproduction humaine, la santé…

Cela peut paraître effrayant. Nous en avons fait un film. Pour expliquer. Car le manque d’information est toujours plus effrayant que l’information elle-même. Pour raconter aussi une extraordinaire aventure  scientifique qui s’est construite comme un puzzle, avec des éléments épars, qu’il fallait rassembler dans un vaste tableau d’ensemble. Notre souci a donc été de tendre le récit au maximum : donner des informations scientifiques précises, tout en restant accessible et capter au mieux l’attention du  téléspectateur.

Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade

Les réalisateurs

Journaliste,Sylvie Gilman a travaillé pendant près de dix ans au magazine « Saga Cités » (France 3), pour lequel elle a réalisé une trentaine de reportages de 26 mn, comme Danièle, prix spécial du jury au FIGRA 1995. Elle s’est ensuite tournée vers le documentaire. Elle a réalisé Le Procureur, le voleur et son voisin (52 mn, 2003) et, avec Thierry de Lestrade, Mémoire de sauvageons (52 mn, 2002) et la Guerre contre le cancer (2006). De son côté, Thierry de Lestrade a réalisé une quinzaine de documentaires. Nombre d’entre eux ont été primés, comme La Justice des hommes, pour lequel il a reçu le prix Albert Londres en 2002. Il écrit aussi des scénarios et a publié un roman, Les passeurs d’anges, aux éditions du Seuil, en 2004.

Les dates

Mâles en péril, documentaire de 52mn. Réalisé par Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade.Arte, mardi 25 novembre, 21h.

Le documentaire sera suivi d’un débat en plateau avec la participation de Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État à l’Écologie.

[17 novembre 2008]

Là où le bisphénol-A se cache

Le bisphénol-A n’est pas présent que dans les biberons en plastique. Il est utilisé dans une multitude d’objets dont voici une liste, certainement non exhaustive, mais en tout cas la plus complète à ce jour, que j’ai établie au cours de mon enquête. Vous trouverez, à la fin de chaque chapitre de mon livre, La Grande Invasion, une liste des objets contenant des polluants chimiques qui, à l’instar du bisphénol-A, sont sources d’inquiétude pour la santé, comme les alkylphénols, les parabens, les retardateurs de flammes bromés ou encore les organoétains.

Type de produits pouvant contenir du bisphénol-A sous la forme de polycarbonate (plastique dur et translucide), de résine époxy, comme additif dans le PVC, comme retardateur de flammes dans les appareillages électriques :

Adhésif et joint, amalgame dentaire, autocuiseurs (parties en plastique), bacs de rangement, biberon, boîte de conserve, bombonne d’eau rechargeable, bouteille en plastique, canette de boisson, casque de sport et de sécurité, CD et DVD, cuve à vin, emballage alimentaire, équipement automobile, encre d’imprimerie, équipement électrique (douilles, prises…), équipement médical, équipement de ski, tennis et golf, housses pour téléphones mobiles, jouets, mastic, ordinateur, outillage électrique, papier essuie-tout, papiers, papiers thermiques (billets d’avion, étiquettes autocollantes pour la pesée des fruits et légumes, papier pour fax, reçu de parking, de banque etc.), pâte à bois, peinture pour coques de bateaux, produit anti-corrosion, rasoir, récipient alimentaire en plastique transparent, récipient alimentaires en plastique pour le micro-onde, revêtement de protection, revêtement de sol, sèche-cheveux, tasse et gobelet pour enfants, tableau électrique, tétine, vaisselle et couverts en plastique réutilisables, vernis pour bois, verre de lunettes, vitrages.

Sources : Environmental Working Group, Autorité européenne de sécurité sanitaire des aliments (EFSA), Commission européenne, Plastics Europe, RPA.

[12 mai 2008]

Bisphénol-A : des réponses à vos questions

Les commentaires se multiplient et ce blog devient un lieu de débat sur le bisphénol-A. Je choisis aujourd’hui de répondre à vos commentaires directement dans les articles. Certaines questions reviennent périodiquement : les réponses seront ainsi plus aisément accessibles.

1-Est-ce que les doses de bisphénol A libérées dans le biberon Avent pour une utilisation normale sont significatives ?

Tout d’abord, sachez que personne n’arrive à s’entendre sur ce que sont des “doses significatives” de bisphénol-A. Quand je dis “personne”, j’entends par là que les industriels et les autorités sanitaires ne sont pas d’accord avec les scientifiques indépendants.

Les scientifiques qui travaillent sur le bisphénol-A avec des budgets de recherche publique, et non à l’aide de financements de l’industrie du plastique, considèrent que le bisphénol-A agit à de très faibles doses. Ils basent leurs conclusions sur des expériences menées en laboratoire sur des rats ou des souris.

Je vous donne un exemple parmi bien d’autres : En 1999, la grande revue scientifique Nature publiait les résultats d’une équipe de chercheurs de l’université du Missouri, dirigée par le spécialiste du bisphénol-A, Frederick Vom Saal (vous relèverez au passage que les inquiètudes sur ce polluant ne datent pas d’hier). Cette équipe avait administré à des souris enceintes des doses de 2,4 microgrammes par kilo (µg/kg)* de bisphénol-A. Elle avait observé par la suite que leur progéniture présentait des pubertés plus précoces que chez des souris non exposées [Réf 1]. Un effet que les chercheurs expliquaient par l’action hormonale du bisphénol-A, qui imite les hormones sexuelles féminines, les œstrogènes.

Or 2,4 microgrammes par kilo, c’est deux fois moins que la norme de sécurité fixée par l’Union européenne en janvier 2007. Que veut donc dire dans ce contexte “dose significative” ?

* 2,4µg/kg, c’est-à dire 2,4 microgrammes de bisphénol-A par kilogramme de poids corporel

[1] Howdeshell Bigsby R, Chapin RE, Daston GP, Davis BJ, Gorski J, Gray LE, Howdeshell KL, Zoeller RT, vom Saal FS. “Evaluating the effects of endocrine disruptors on endocrine function during development”. Environ Health Perspect. 1999 Aug;107 Suppl 4:613-8 .

2-Dans ces études auxquelles vous renvoyez, aucun test n’a été fait avec des biberons en polypropylène genre Dodie Initiation, donc en quoi ces biberons sont plus sûrs ?

Les biberons en polypropylène ne contiennent pas de bisphénol-A. Le bisphénol-A a sert à fabriquer du polycarbonate (PC ou 7 dans les triangles de recyclage) et des résines époxy (pour le révêtement intérieur des cannettes de boissons et des boîtes de conserve)

* Commentaire de James

James nous rappelle à juste titre que le premier livre décrivant les ravages du pesticide DDT sur la faune a été écrit en 1962 par une pionnière de l’écologie, Rachel Carson. Ce livre, Printemps silencieux, a secoué les consciences et même mené à la création de l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) dans les années 70. Force est de constater qu’en 2008, on en est encore à pinailler dans le cadre d’un machin appelée Grenelle de l’environnement pour réduire de moitié la quantité de pesticides utilisés en agriculture d’ici 10 ans, et que ceux utilisés dans les jardins et les maisons de monsieur et madame tout-le-monde ne sont toujours pas réglementés.

*Commentaire de Franck

Merci à vous, Franck, qui travaillez pour la marque Avent, de vous intéresser à ce débat.

Pour répondre à votre première question, ce blog ne “tape” pas uniquement sur la marque Avent. Les organisations envrionnementales américaines citent cinq marques : Avent, Dr Brown’s, Evenflo, Gerber et Playtex. Ce sont d’ailleurs ces mêmes marques qui sont attaquées aux États-Unis par des consommateurs regroupés en class-action. Aucune n’ayant été faite sur les biberons vendus en France, je ne puis que citer ces cinq marques.

Vous écrivez ensuite qu’Avent est une bonne marque, qui fait preuve de beaucoup de professionnalisme. Je ne peux pour ma part que constater qu’Avent n’a rien fait quant à la composition du plastique de ses biberons depuis que le problème de la toxicité du bisphénol-A a été soulevée. Peut-on être une grande marque tout en négligeant de tels enjeux de santé publique ? Absolument. Et ce ne serait pas la première fois.

Même si la problématique est différente, je me permets de rappeler à tous la façon dont le problème de l’amiante a été traité en France. Tout le monde savait depuis très longtemps que l’amiante pouvait provoquer des cancers de la plèvre chez les travailleurs exposés à la poussière d’amiante. Mais la prise de décision a pris des décennies. Dans ce cas précis, les pouvoirs publics ont clairement favorisé les enjeux économiques aux enjeux de santé publique : l’expertise sur l’amiante, à travers le comité amiante, avait été entièrement noyauté par les industriels.

Après les mensonges des cigarettiers, après le drame de l’amiante, Tchernobyl et son nuage qui s’arrête à la frontière, ou encore les scandales sanitaires comme le retrait du médicament Vioxx en septembre 2004 (voir pour cela l’excellent rapport du Sénat paru en juin 2006), comment peut-on encore accueillir les affirmations des industriels avec bonhommie ?

Je suis ravie que votre fille se porte bien. Mais le problème avec des polluants comme le bisphénol-A, c’est justement que leurs effets ne sont ni immédiats ni spectaculaires. La farandole d’effets que l’on constate chez les animaux de laboratoire survient plus tard dans leur vie.

Quant à votre remarque sur les autres objets contenant du bisphénol-A, vous avez tout à fait raison : ils sont nombreux. Je posterai plus tard aujourd’hui la liste que j’ai pu établir au cours de mon enquête.

* Commentaires de Gisèle et LN

Je pense que ce qui précède répond à vos commentaires. LN, courage à vous.

St.H.

[12 mai 2008]

Bisphénol-A : dépêchons-nous de ne rien faire

Et soudainement, les médias se réveillèrent. Après l’annonce, à la mi-avril, par le gouvernement canadien, d’interdire le bisphénol-A dans les biberons, les journalistes français commencent progressivement à se pencher sur ce polluant chimique présent dans de nombreux objets de consommation courante.

Aujourd’hui, Libération consacre un article à la question (lire ci-dessous). “Les Canadiens ne savent plus à quel biberon se vouer”, titre le quotidien, qui rapporte une rupture de stock sur les biberons en verre dans le pays. Exactement comme cela avait été le cas en Californie, après la publication du rapport d’une organisation environnementale américaine, Environment California, en février 2007 (Télécharger le rapport).

Libération nous apprend également que Didier Houssin, le directeur général de la Santé (dépendant du ministère), a déclaré sur Europe 1: “Ne jetez rien”. Nous voilà rassurés. On peut donc continuer à chauffer le lait dans les biberons en France, alors que cela est considéré dangereux pour la santé des enfants de l’autre côté de l’Atlantique.

Ah, et aussi, cette même direction générale de la santé a commandé un rapport à l’Agence française de sécurité sanitaires des aliments (AFSSA). Un problème ? Un rapport ! Encore cette grande et déplorable habitude française de retarder une prise de décision difficile. Des rapports et des études sur le bisphénol-A, ce n’est pourtant pas ce qui manque. Mais peut-être nos experts et nos ministres ne parlent-ils pas anglais.

St.H.

Les Canadiens ne savent plus à quel biberon se vouer
Ottawa va interdire les récipients pour bébés à base de bisphénol A.
De notre correspondante au Québec EMMANUELLE LANGLOIS
Lundi 12 mai 2008

Vent de panique dans les familles canadiennes. Des milliers de parent craignent d’avoir empoisonné leurs enfants à leur insu. Sans crier gare, le gouvernement canadien a annoncé son intention d’interdire la commercialisation des biberons contenant du bisphénol-A (BPA) : cette substance renfermée dans certains plastiques et désormais considérée comme « toxique » par les autorités du pays.

Produit chimique

Immédiatement, de nombreuses enseignes ont pris l’initiative de retirer les biberons, gobelets et assiettes de plastique contenant du BPA de leurs rayons. Pas de quoi rassurer les parents. « J’ai jeté tout ce qui était susceptible de contenir du BPA, lance Tabitha Rondeau, mère de deux enfants. Je suis vraiment choquée de constater que le gouvernement n’a pas pris cette décision plus tôt. » Un point de vue que partage Mélanie Bergeron. Cette maman est cependant davantage troublée par le fait que les fabricants de biberons n’ont pas attendu l’interdiction officielle de ce produit chimique pour retirer toutes leurs marchandises contenants du bisphénol A des rayons. « Sans doute veulent-ils nous prouver qu’ils se sentent concernés, mais ils auraient dû l’être bien avant : les études montrant les effets néfastes du BPA sur le système endocrinien sont connues depuis longtemps. » Comme beaucoup de mères, dès l’annonce gouvernementale, Mélanie a voulu acheter des biberons en verre. En vain. « J’imagine que tous les parents de jeunes enfants se sont précipités dans les magasins. Résultat : les étagères sont vides et trouver un biberon sans BPA est devenue mission impossible. » Comme elle, Ariana Moralès ne décolère pas. « On veut ce qu’il y a de mieux pour nos enfants alors savoir qu’une entreprise a permis qu’ils soient exposés à des produits dangereux sans nous en aviser est intolérable. »

Dans la foulée, l’avocat David Bourgoin a déposé des demandes d’exercer des recours collectifs contre trois fabricants de biberons. « Les compagnies Playtex, Gerber et Avent sont montrées du doigt pour n’avoir pas indiqué aux consommateurs que leurs biberons pouvaient présenter un risque pour les enfants, précise-t-il. Le BPA contenu dans le plastique migre dans le lait lorsque le biberon est chauffé ou si un liquide bouillant est versé, et ils auraient dû en avertir les acheteurs. » Nadia Rodrigue, bien qu’inquiète du fait que la santé de son fils puisse avoir été altérée, n’ira pas jusqu’à se rallier à la cause. Elle regrette toutefois de trouver peu d’informations sur les conséquences de ce produit chimique sur la santé humaine. « Le Canada est le premier pays au monde à se prononcer en faveur de l’interdiction du BPA. Peut-être qu’on s’affole trop vite », suggère-t-elle.

Appréhensions

Les autorités sanitaires canadiennes ne sont pourtant pas les seules à s’intéresser de près au BPA. Leurs homologues américaines s’inquiètent également des effets de cette substance sur la santé. Un groupe d’experts du National Toxicology Program vient d’admettre avoir certaines appréhensions quant aux effets des niveaux actuels de BPA se retrouvant dans l’alimentation sur les systèmes nerveux et hormonal des fœtus et des nouveau-nés. Comment les autorités doivent-elles se comporter à l’égard de produits auxquels l’être humain est exposé à faible dose ? Si l’on en croit la position canadienne, la prudence est de mise.
© Libération

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Second article dans la même édition de Libération.

Faut-il alerter tous les bébés ?
E.L. LIBÉRATION : lundi 12 mai 2008

La France va-t-elle à son tour crier haro sur le bisphénol-A (BPA), utilisé par de nombreuses marques de biberons ? « On ne change rien », « ne jetez rien », et on peut « continuer à chauffer le lait » des bébés s’est empressé de rassurer sur Europe 1, Didier Houssin, directeur général de la Santé, tandis qu’une étude a été commandée à l’Agence française de la sécurité sanitaire des aliments (Afssa).

Dans l’attente, on sait que le bisphénol-A, un produit chimique industriel appartenant à la famille des composés organiques aromatiques, est utilisé dans la fabrication du polycarbonate, un plastique rigide employé dans la confection de biberons, de récipients destinés aux fours à micro-ondes et à la conservation. Il est aussi utilisé dans la production de résines époxy servant d’enduit de protection à l’intérieur des cannettes, des conserves ou des conteneurs afin de prévenir la corrosion.

Mis au point à la fin du XIXe siècle, le BPA soulève des inquiétudes depuis la fin des années 90. Sa structure est proche de celle de l’œstrogène. Il peut donc circuler dans le sang et déclencher des réactions inattendues. Certains scientifiques avancent qu’il pourrait provoquer une puberté précoce. Son lien avec certaines formes de cancer a par ailleurs été établi chez les animaux.

Il est toutefois difficile de déterminer dans quelle mesure il peut être dommageable pour l’homme sans étude à grande échelle.

St.H.

[12 mai 2008]