Il fallait au moins une Québécoise pour faire un film comme celui-là. Documentaire de 90 mn, Homo Toxicus raconte notre prise en otage par les substances chimiques, avec le sourire et le délicieux accent de Carole Poliquin. En jouant la citoyenne lambda faussement naïve, la réalisatrice explore les différents enjeux de la problématique.
Tout commence par une prise de sang qui relève plus de 100 polluants chimiques dans ses veines. Suivie par la caméra, elle part demander à des scientifiques à quoi correspondent ces noms imprononçables, et à quels risques elle s’expose en les hébergeant dans son corps.
L’objet de ce post n’est bien sûr pas de vous raconter le film. Mais je ne décrirai que la première séquence, particulièrement frappante. Choquante, même. Carole Poliquin embarque pour le Nunavik, la Grand Nord canadien. On le sait depuis la fin des années 1980 et les travaux du chercheur Eric Dewailly [1] : la pollution chimique touche les populations arctiques plus que nous autres. Le DDT, les PCB, dioxines et autres polluants persistants (ou produits organiques persistant – POP, interdits par la convention de Stockholm) sont portés jusqu’à eux par les courants atmosphériques. Grands pêcheurs et chasseurs, les habitants du grand Nord se contaminent davantage en mangeant la viande des baleines, phoques, narvals, morses, ours. Animaux dont les graisses accumulent justement les POP [2].
Voilà donc Carole Poliquin dans le village de Palaqsivik où les petits inuits rigolent dans la neige. Mais dans la salle de classe, l’institutrice est branchée sur micro, façon téléopératrice. Une enceinte est fixée au mur. Plusieurs enfants portent des appareils auditifs. Ils entendent mal. Dans cette région, les petits sont touchés par des otites à répétition. Selon Eric Dewailly, c’est l’exposition à de fortes doses de polluants pendant la grossese et via le lait maternel qui pourrait contribuer à l’affaiblissement du système immunitaire des enfants et provoquer cet excès d’infections [3].
Une séquence mémorable, comme beaucoup d’autres moins tragiques, dans ce film très réussi. On voit Carole Poliquin jouer au Scrabble et faire des mot compte double avec p-o-l-l-u-t-i-o-n qui croise a-s-t-h-m-e, d’où part h-o-r-m-o-n-e-s. Ou organiser un buffet toxique en pleine rue pour proposer aux passants salades de thon blanc au mercure, filets de doré aux retardateurs de flammes ou encore sandwiches aux phtalates. Un aperçu ?
À ce jour, aucune diffusion n’est prévue en France. La réalisatrice vient d’achever une tournée-marathon de 15 jours chez nous pour présenter son film dans des salles combles. En attendant qu’une chaîne de télévision ne se décide à acheter le film, vous pouvez vous rendre sur le site du film et même acheter le DVD.
StH
[1] Dewailly E et al. « High levels of PCBs in breast milk of Inuit women from arctic Quebec », Bull Environ Contam Toxicol. 1989 Nov ; 43(5) : 641-6.
[2] Pour plus de détails sur la pollution des populations et de la faune du Grand Nord, voir le site de l’Arctic Monitoring and Assessment Programme (AMAP) et le site du plan national de mise en œuvre du Canada au titre de la convention de Stockholm sur les pollunats organiques persistants (en français).
[3] Dallaire F et al. « Acute infections and environmental exposure to organochlorines in Inuit infants from Nunavik », Environ Health Perspect. 2004 Oct ; 112(14) : 1359-65.
[23 novembre 2008]