Archives de catégorie : La grande invasion

Interview sur le site contaminations-chimiques.info

Une interview à propos de mon livre, La grande invasion, sur le site de Denis Lebioda, contaminations-chimiques.info.

1 – Qu’est-ce qui vous a conduit à écrire cet ouvrage ?

Comme beaucoup de gens, je me posais des questions sur les substances chimiques qui partagent notre quotidien. En cherchant à me documenter – pour ma gouverne personnelle dans un premier temps–, j’ai été frappée par la différence sidérante entre la masse d’informations disponibles et le degré de conscience de la population, proche du néant en France, sur l’ampleur des enjeux.

Dans notre pays, le mot “pollution” ne semble concerner que la pollution extérieure. On parle volontiers des dioxines ou des pesticides en agriculture. Mais quand il s’agit d’évoquer la pollution à l’intérieur de nos habitations, dans notre nourriture, nos détergents ou nos produits d’hygiène, le sujet suscite une sorte de nonchalance moqueuse : “Oui, mais alors on ne peut plus rien faire et de toute façon, on va tous mourir” ricanent certains.

Par ailleurs, nos médias ne parlent presque jamais des avancées de la science sur cette question. Pas plus qu’ils ne suivent les “affaires” de santé publique dont se sont emparés les grands médias américains et qui sont pourtant les mêmes chez nous. Qui en France sait que le bisphénol-A, contenu dans le plastique polycarbonate et la résine epoxy (qui servent à fabriquer biberons, récipients de cuisine, revêtements intérieurs des boîtes de conserve etc) est l’objet d’une controverse enragée entre scientifiques, instances réglementaires et industrie ?

J’ai donc voulu mener une enquête journalistique qui permettrait d’expliquer la problématique sous tous ses aspects, l’axe principal étant de faire l’état des lieux des connaissances scientifiques les plus récentes.

2 – Quels sont les points / informations / témoignages qui vous ont le plus touchée ?

Au cours de cette enquête, j’ai pu constater que les scientifiques exprimaient une réelle inquiétude pour la santé de la population. Ils ont pourtant le sentiment de ne pas être suffisamment entendus par les pouvoirs publics. Leur principal problème réside dans le fait qu’il est très difficile de prouver scientifiquement et de manière définitive la toxicité sur le long terme d’une substance donnée.

Les chercheurs recommandent l’application du principe de précaution. L’industrie leur répond “absence de preuves”. Certains scientifiques n’hésitent pas à qualifier cette exposition chimique généralisée d’expérience menée à grande échelle. Comme le chercheur Philippe Grandjean, pour qui réunir les preuves consiste à “étudier ce qui arrive à nos enfants”. Seuls les pouvoirs publics peuvent agir et trancher.

Mais ce genre de décisions remet profondément en cause un certain nombre de principes qui ont construit et organisent désormais notre monde moderne.

3 – A votre avis, que peuvent faire les citoyens – consommateurs pour échapper à cette contamination généralisée ?

Il est impossible de s’extraire de la chimie dans un monde qui est chimique. À moins « de revenir au temps où les gens s’habillaient en peaux de bêtes », comme le dit avec humour le chercheur suédois Per Eriksson.

Les scientifiques que j’ai interrogés estiment cependant que nous pouvons limiter notre exposition à certaines substances chimiques avec des gestes simples. C’est d’ailleurs l’objet de l’épilogue, qui explique ce que ces scientifiques ont eux-mêmes changé dans leur mode de vie.

Ne pas utiliser d’insecticides dans sa maison, ne pas réchauffer de nourriture au micro-ondes dans un récipient en plastique, être particulièrement vigilant pendant une grossesse et au cours des premières années de la vie de son enfant etc. Tous disent : « Ne vous servez que des produits dont vous avez vraiment besoin. Et quand vous le faites, n’en utilisez que le strict minimum. » Ils regrettent par ailleurs que les produits biologiques et/ou écologiques demeurent un luxe.

Pour ma part, je pense que les citoyens peuvent exercer une pression indirecte très forte sur l’industrie en modifiant leurs habitudes de consommation et en étant plus exigeants envers l’information qu’on leur donne sur les produits qu’ils achètent.

[18 janvier 2008]

Le sperme mutant des souris de Hamilton


SourisUne bonne bouffée d’air pollué, et l’ADN du sperme des souris mute. C’est la conclusion d’une étude menée par une équipe de chercheurs d’Ottawa (Canada) et de l’Université de Maastricht (Pays-Bas). Dans leur article, publié dans les Annales de l’académie nationale américaine des sciences (PNAS) Carole Yauk et ses collègues montrent que des souris qui ont respiré de l’air pollué présentent un nombre de mutations génétiques dans leur sperme bien plus élevé que des souris qui ont inspiré de l’air filtré.

Pour réaliser cette étude, les chercheurs ont placé des souris près de deux aciéries et d’un important axe routier, dans la ville de Hamilton. Le premier groupe respirait l’air tel quel. Le second groupe pouvait emplir ses petits poumons du même air passé au travers de filtres de haute qualité. À l’issue des 16 semaines d’expérience, le sperme des souris du premier groupe comportait 60% de mutations génétiques en plus. En théorie, ces mutations peuvent altérer l’expression et le fonctionnement de plusieurs gènes chez les futurs petits de ces souris. “Cette recherche indique que des polluants chimiques en suspension dans l’air pourraient être responsables de mutations génétiques transmissibles”, expliquent les chercheurs.

Reste à confirmer ces résultats. Et surtout à évaluer l’impact de la pollution atmosphérique sur le sperme des humains.

Ah. Et après six semaines de récup’ en labo, les souris du premier groupe ont retrouvé un état à peu près normal.

Sources : Nature news (13.01.2008), Yauk C et al. Germ-line mutations, DNA damage, and global hypermethylation in mice exposed to particulate air pollution in an urban/industrial location. Proc Natl Acad Sci U S A. 2008 Jan 14; [Epub ahead of print]

St.H.

Photo (Il ne s’agit pas d’une souris de Hamilton mais d’une souris embarquée dans une autre expérience) : St.H.

[16 janvier 2008]

Pesticides : le prix des rivières 2008

Cet article est un collier de chiffres. Comme chaque année depuis 1998, l’Institut français de l’environnement (IFEN) publie son rapport sur les pesticides dans les eaux. Les chiffres ne changent guère d’une année sur l’autre. Ils sont toujours aussi impressionnants : 91% des cours d’eau contiennent des traces de pesticides, 55% des eaux souterraines (le terme englobant les nappes phréatiques). La qualité de l’eau est considérée de “moyenne” à “mauvaise” dans 36% des cours d’eau, de “médiocre” à “mauvaise” dans 25% des eaux souterraines.

Les données publiées concernent les prélèvements opérés en 2005. Et en 2005, donc, 233 pesticides ont été relevés au moins une fois (contre 229 en 2004). L’atrazine et ses congénères sont cette fois détrônés par le glyphosate (le fameux herbicide Roundup).

Principales substances présentes dans les eaux (métropole et DOM) :

Eaux Souterraines Eaux Superficielles

* L’AMPA est un métabolite (produit de dégradation) du glyphosate. L’atrazine déséthyl et le 2-hydroxy atrazine sont des métabolites de l’atrazine. Graphiques issus du rapport de l’IFEN.

Pour mémoire, 74.719 tonnes de pesticides ont été vendues en 2005 selon l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP), structure regroupant les industriels. En France, près de 500 pesticides bénéficient d’une autorisation de mise sur le marché pour l’agriculture.

Source : IFEN

St.H.

[15 janvier 2008]


Le Teflon cuisine le monde

Son nom est barbare : acide de perfluorooctane (ou PFOA). Pourtant, tout le monde connaît indirectement cette substance chimique. Elle sert à fabriquer le Teflon qui recouvre nos batteries de cuisines (1). Mais pas seulement. On en trouve dans une multitude de produits qui vont des emballages de fast-food aux cosmétiques, en passant surtout par les moquettes où elle sert de traitement imperméable, anti-tache et anti-graisse. Tout comme l’autre célébrité de sa famille : le sulfonate de perfluorooctane (ou PFOS) qui n’est autre que le fameux Scotchgard.

TeflonLes composés perfluorés sont au total 175 à avoir des noms imprononçables. Et depuis plusieurs années, les scientifiques sont intrigués par une question : pourquoi polluent-ils la planète entière ? Ils ne parviennent pas à comprendre pourquoi de très importantes quantités de perfluorés se promènent dans la nature. Car ces produits quasi-magiques ont aussi cela de particulier qu’ils sont ubiquitaires et persistants dans l’environnement. PFOS et PFOA sont dans notre sang, la nature, l’eau et les organismes des animaux sauvages, jusqu’au pôle Nord. Jusqu’aux ours blancs. De nos jours, même le cordon ombilical des nouveaux-nés en contient. Dernier détail : en 2005, l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) a classé le PFOA “cancérogène possible” pour l’homme.

L’un des plus grands enjeux aujourd’hui est de déterminer d’où viennent exactement tout ce PFOA et tout ce PFOS. Pour cela, les scientifiques essaient de déterminer si le PFOA est un produit de dégradation. En d’autres termes, de déterminer si c’est l’ensemble des composés perfluorés, digérés et dégradés par les éléments et le temps, qui se transforment ensuite en PFOA. Dans ce cas, tous les perfluorés seraient de potentielles sources de pollution. Leur avenir à tous serait alors menacé.

Cela explique sans doute pourquoi DuPont affiche sa satisfaction à l’issue d’une étude de deux ans qui conclue par la négative. Géant mondial de la chimie, inventeur du Teflon en 1938, DuPont est le principal fabricant de Teflon dans le monde. Dans cette nouvelle étude, leurs chercheurs maison expliquent que le PFOA qu’ils détectent provient de résidus et d’impuretés libérés par les objet contenant du Teflon. Ils affirment ainsi que les perfluorés ne se dégradent pas sous la forme de PFOA.

Certains chercheurs contestent cependant leurs conclusions. Tout en saluant l’importance de l’étude, Cathy Fehrenbacker, responsable des investigations sur le PFOA pour l’EPA, met en garde contre toute “surinterprétation” des résultats et critique la méthodologie de l’étude. Pour sa part, le plus grand spécialiste de la détection des perfluorés dans la nature, Scott Mabury, et son équipe de l’université de Toronto ont montré en 2007 que le processus de dégradation des perfluorés en PFOA pouvait avoir lieu au sein d’un organisme vivant. Ils ont administré du polyfluoroalkyle phosphate à un rat de laboratoire. La substance s’est transformée en plusieurs formes dégradées, parmi lesquelles du PFOA, qui n’était pourtant pas présent au départ.

Il faudra sans doute attendre plusieurs années avant d’avoir la moindre certitude.

(1) Attention de ne pas se mélanger les pinceaux : le PFOA est un intermédiaire de fabrication du Teflon (lui-même polytétrafluoroéthylène, ou PTFE sous son identité chimique). Et non pas le Teflon ou un ingrédient du Teflon.

Sources : Rebecca Renner. Do perfluoropolymers biodegrade into PFOA ?, Environmental Science & Technology on line, 9 janvier 2008. D’eon J.C., Mabury S.A. Production of Perfluorinated Carboxylic Acids (PFCAs) from the Biotransformation of Polyfluoroalkyl Phosphate Surfactants (PAPS) : Exploring Routes of Human Contamination, Environmental Science & Technology, 2007 Jul 1 ; 41(13) : 4799-805.

Photo : St.H.

Pour en savoir plus : Il existe peu d’informations en Français sur les composés perfluorés. Le chapitre 3 de La grande invasion leur est entièrement consacré.

[11 janvier 2008]

Butinage parfumé au Cruiser

C’était le bon temps. À l’époque du Grenelle de l’environnement, où l’on parlait d’une réduction de 50% de l’usage des pesticides. Autant dire : jadis. Mardi 8 janvier 2008, le ministère de l’Agriculture a décidé d’autoriser l’utilisation d’un nouveau pesticide, le Cruiser. Comme si les 489 pesticides autorisés sur le marché européen ne suffisaient pas.

Cette autorisation fait suite à un avis de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), qui avait été saisie par le gouvernement en septembre et en octobre 2007 afin d’évaluer le Cruiser et le Poncho, deux pesticides utilisés en traitement de semence de maïs. Le Cruiser est produit par Syngenta, le Poncho par Bayer. Ils sont tous deux autorisés en Allemagne.

AbeilleDans son analyse, livrée le 20 décembre 2007, l’AFSSA s’est principalement soucié du sort des abeilles, dont les populations sont décimées depuis plusieurs années [Télécharger l’avis de l’AFSSA sur le risque à long-terme pour les colonies d’abeille]. Sur ces bases, l’AFSSA a émis un avis défavorable pour le Poncho, mais favorable pour le Cruiser. À certaines conditions. Le gouvernement a suivi. Exit le Poncho. Cruiser on the road, avec une petite caravane de mesures de précaution au derrière. Des “conditions de précaution maximales”, selon les mots du ministère.

– L’autorisation du Cruiser n’est valable qu’un an, et devra être suivie d’une nouvelle évaluation.

– Son usage sera limité dans la période qui précède le 15 mai “afin de réduire la période de floraison”.

– Il ne pourra être utilisé que pour le “maïs ensilage, le maïs grain et le maïs porte-graine femelle”. Ce que cela veut dire, c’est que le Cruiser ne servira pas pour le maïs destiné à la consommation humaine et aux lignées mâles vouées à la production de semences.

– Un suivi et une surveillance des ruchers sont imposés dans au moins trois régions. Une première réunion du comité scientifique et technique aura lieu le 30 janvier. Réunion à laquelle sont associés apiculteurs et associations de défense de l’environnement.

Le ministère de l’Agriculture profite de l’occasion pour annoncer qu’une mission sur la filière apicole va être “prochainement confiée à un parlementaire”. “Son objectif est la mise en place d’un plan d’action apicole portant sur l’organisation de la surveillance de l’état des ruchers, l’aménagement du territoire et sur l’accompagnement technique, scientifique et économique durable de la filière”.

Les organisations environnementales, de leur côté, sont totalement opposées au Cruiser. Dans un communiqué du 8 janvier, la Confédération paysanne dénonce “un insecticide de destruction massive d’abeilles”. Selon elle, il n’existe aucune garantie permettant de vérifier que les mesures de précaution seront bien appliquées. Elle rappelle que des mesures du même type – mises en place pour les OGM – n’avaient pas été une grande réussite.

Dans un communiqué commun, trois associations environnementales – les Amis de la terre, le Mouvement pour le droit et le respect des générations futures (MDRGF) et le WWF, parlent de “récidive” des pouvoirs publics après les affaires du Gaucho et du Régent (1).

Selon elles, le principe actif du Cruiser – le Thiamethoxam – est très toxique pour les abeilles, même à de faibles doses. Elles expliquent qu’il faut seulement 5 nanogrammes (ng) de Cruiser pour tuer une abeille. Des doses tournant autour de 0,5 ng par abeilles peuvent entraîner de graves perturbations des colonies. Il comporterait donc les mêmes risques que le fipronil (Régent) et l’imidaclopride (Gaucho), qui avaient été retirés après avoir causé des dégâts sur les populations d’abeilles.

“Nous nous élevons contre cette autorisation qui permettrait à un insecticide qu’on sait être extrêmement dangereux pour les abeilles d’être répandu dans l’environnement au mépris du principe de précaution”, concluent-elles.(1) Sur le Gaucho, le Régent, et l’étrange rapport de la France avec les pesticides, voir le livre de Fabrice Nicolino, journaliste, et François Veillerette, président du MDRGF : Pesticides, révélations sur un scandale français. Fayard, 2007.

Sources : AFSSA, Associated Press (8/01/2008), Confédération paysanne, MDRGF, ministère de l’Agriculture.

Photo : St.H.

[9 janvier 2008]

Un nettoyant qui récure aussi les hormones

Est-ce vraiment nécessaire de désinfecter sa cuisine et sa peau comme un bloc opératoire ? Des antiseptiques puissants sont souvent ajoutés à des produits courants. Le triclosan est le plus connu. Mais il y a aussi le triclocarban, qu’on trouve dans les antiseptiques médicaux, savons, gels douches, lotions nettoyantes, lingettes et détergents. Nom de code : TCC ou 3,4,4′-trichlorocarbanilide.

Des chercheurs de l’Université de Californie-Davis et de l’Université de Yale viennent de découvrir que le triclocarban est un perturbateur endocrinien à l’action originale. Dans un article publié dans la revue scientifique Endocrinology, ils montrent que le triclocarban amplifie les effets de la testostérone, la principale hormone masculine, dans des cellules humaines en cultures (in vitro) et dans des rats de laboratoire (in vivo). C’est la première fois que ce mécanisme de perturbation endocrinienne est observé. Jusqu’ici, on avait plutôt l’habitude de découvrir que des substances chimiques imitaient ou bloquaient les hormones féminines, ou bien gênait les hormones masculines. Pas le contraire.`

Largement commercialisé en Europe et aux États-Unis depuis 45 ans, le triclocarban est produit à hauteur d’un million de livres par an rien que pour le marché américain. Il s’est disséminé dans l’environnement, en particulier dans les cours d’eau, aux États-Unis tout du moins.

Grenouille2Quant au triclosan, qu’on a plus de chances de détecter dans les dentifrices et les savons, il cause déjà des dégâts dans la nature : il est insuffisamment filtré par les stations d’épurations. À l’automne 2006, l’équipe de Caren Helbing, à l’Université de Victoria, au Canada, montrait que le triclosan perturbait les hormones thyroïdiennes des grenouilles sauvages. Il empêche le bon développement de leurs pattes.

Sources : Environmental Science and Technology, Chen J. et al. Triclocarban enhances testosterone action: A new type of endocrine disruptor ? Endocrinology. 2007, Nov 29 [Epub ahead of print]. Veldhoen N. et al. The bactericidal agent triclosan modulates thyroid hormone-associated gene expression and disrupts postembryonic anuran development. Aquat Toxicol. 2006 Dec 1;80(3):217-27.

Photo : Caren Helbing.

St.H.

[04 janvier 2008]

Du nœud de câbles au Non-Fi

Si j’avais le mot de passe, je pourrais brancher mon foie sur la freebox du voisin d’en dessous. Le matin, mes cheveux, moulés par l’oreiller, dressés sur la tête, font antenne-relais pour les compagnies téléphoniques. Combien de “dsl G 1 pb j sui en rtar”, d’emails décorés aux “bien cordialement”, de réservations de restaurant et de chats ont-ils traversé ma boîte crânienne ? Et ça lui fait quoi, à ma boîte crânienne, quand Bouygues et Wanadoo y jouent les passe-murailles ?

Cet hiver, on s’est posé ce genre de questions à la mairie de Paris, comme l’a révélé Le Monde. Le 30 novembre, le comité hygiène et sécurité de la direction des Affaires culturelles a voté un moratoire sur le Wi-Fi dans les bibliothèques parisiennes. Plusieurs employés municipaux s’étaient plaints de maux de tête, de vertiges, de douleurs musculaires et de malaises. Paris ne sera peut-être pas la capitale de l’internet sans fil comme le souhaitait Bertrand Delanoë. En septembre, 400 bornes Wi-Fi avaient été installées à travers Paris.

Le Wi-Fi s’est répandu très vite. Trop vite sans doute pour qu’on se penche sérieusement sur son possible impact sur la santé. Quand on les interroge, les experts en sont réduits à des suppositions et extrapolations à partir des enquêtes menées sur les téléphoniques mobiles. L’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (AFSSET) a été chargée de rédiger un rapport pour 2008.

Il n’existe qu’une seule étude sur le Wi-Fi, à vrai dire, comme le rappelle un article du “Professeur Canardeau” dans le Canard Enchaîné du 26 décembre. Menée par des chercheurs de l’Université de Chicago en 2005, cette étude in vitro montre qu’une exposition de deux heures à des ondes de la même fréquence que le Wi-Fi (2.450 MHz) peut modifier l’expression de 221 gènes. Celle de plus de 700 après 6 heures.

En attendant que les experts aient des données à se mettre sous la dent, le gouvernement allemand, lui, recommande tout bonnement à la population d’éviter le Wi-Fi autant qu’elle le peut. Dans la foulée de cette annonce, en juillet 2007, il est aussi conseillé aux Allemands de préférer les téléphones filaires aux mobiles. C’était la première mise en garde officielle sur les risques du Wi-Fi.

Le 18 septembre, l’Agence européenne de l’environnement a, quant à elle, demandé aux pays membres de l’Union européenne de prendre des mesures pour protéger la population des risques de l’électrosmog que créent Wi-Fi, téléphones mobiles et sans fil etc. “De nombreux exemples montrent que l’absence de recours au principe de précaution par le passé a causé des dommages importants et parfois irréversibles à la santé et à l’environnement”, souligne Jacqueline McGlade, directrice de l’Agence. Qui encourage les pays membre à prendre “des mesures de précaution appropriées et proportionnées visant à éviter les menaces plausibles et potentiellement importantes que font peser sur la santé les champs électromagnétiques”.

Sources : Le Canard Enchaîné (26/12/2007), Le Monde (18/12/2007), The Independent (9/09/2007), Lee S. et al. 2.45GHz radiofrequency fields alter gene expression in cultured human cells. FEBS Letters, 579 (21) : 4829-4836.

St.H.

[28 décembre 2007]

La hotte plombée du Père Noël

Barbie a pris une baffe. L’été 2007 bat son plein. Les journaux télévisés sont garnis de campeurs saucés de pluie, de vacanciers dépressifs et de président en bateau, quand, le 1er août, Mattel bat le rappel de près d’un million de jouets peinturlurés au plomb dans ses usines chinoises. Il y aura trois salves en tout. La seconde le 14 août, la dernière le 4 septembre. Des bestioles domestiques qui égayent le quotidien figé de Barbie aux aimants qui ferment les maisons roses des Polly Pocket, en passant par les couleurs de la rue Sésame plastifiée : au total, plus de 18 millions de jouets. Une véritable catastrophe industrielle.

Aux États-Unis, le groupe de pression Campaign for America’s future a bidouillé un clip pour protester sur les failles du système de contrôle. Barbie et Ken se revoient pour boire un verre. La rupture a, semble-t-il, brisé davantage Ken que Barbie. Un carton noir suggère une folle nuit in memoriam, sans les organes idoines, mais avec un nounours sous le baldaquin. Au réveil, ils sont déjà tout rhabillés, mais la coupe “just fucked” de Barbie laisse rêveur. Ils se promettent de s’appeler. Ce que Barbie ne manque pas de faire, une semaine plus tard, pour annoncer à Ken qu’il lui a refilé un truc : un empoisonnement au plomb. Pas de capote. Bravo Barbie et Ken. On vous rappellera pour faire de la prévention. L’idée de départ est assez drôle, la réalisation poussive et très cheap.

Barbie plombée

Le plomb n’est pas une bonne idée, globalement. Et pour les enfants encore moins. Ce métal lourd s’accumule dans les organismes. Il est neurotoxique, peut endommager les reins, l’ouïe, le QI et beaucoup d’autres choses. Son effet le plus connu, le saturnisme, est causé par les tuyauteries et les peintures au plomb dans les logements vétustes. (Vous trouverez ici plus d’informations sur les dangers du plomb et ses sources d’exposition.)

Tentant de rassurer des hordes de parents flippés, la Commission européenne fait de la pédagogie sur son système de contrôle des normes. Qui fonctionne très bien en Europe. La preuve : elle met en avant son programme RAPEX. Chaque année, la Commission met en scène sa galerie de petites horreurs constituée d’articles hors normes, saisis à l’importation, et auxquels les consommateurs ont échappé grâce à sa vigilance aigüe. En 2006, plus de 1.000 objets (une fois sur quatre, des jouets) ne correspondant pas aux normes de sécurité ont ainsi été saisis. Dans 9% des cas, il s’agissait d’un souci de substance chimique. Le plus souvent, le problème venait de petites pièces dangereuses avec lesquelles les plus jeunes peuvent s’étouffer. Presque la moitié de ces produits provenaient de Chine. Cependant, certains avaient été produits dans des pays européens et même en France. Le rapport RAPEX 2006 note enfin que 17% des produits étaient d’origine inconnue. La traçabilité du jouet semble nettement perfectible.

“Il est impossible, en ce bas monde, de fournir des garanties à 100 %”, a déclaré Meglena Kuneva, commissaire chargée de la protection des consommateurs, suite à l’affaire Mattel. Quelles garanties peut-on espérer pour la santé des enfants qui tripotent leurs jouets à longueur de journée. 90%, 70%, 40% ? “L’industrie du jouet a l’obligation légale de veiller elle-même à ce que tout jouet proposé aux consommateurs soit sûr”, rappelle la Direction Environnement de la commission sur son site. Avant d’ajouter : “or, les récents rappels ont montré que ce n’était pas le cas”. La révision du cadre réglementaire au sein de l’Union européenne est en cours. Un projet de révision de la directive sur les jouets est attendu pour le début 2008.

Cela dit, il n’y a pas que Mattel. Les rappels de jouets hors normes interceptés par RAPEX se comptent par dizaines depuis 2005. Cela dit également, des chercheurs canadiens ont travaillé la question et disséqué les statistiques des rappels de jouets au États-Unis depuis 1988. Leur étude parvient à la conclusion que, dans 76% des cas, ce n’était pas la fabrication en elle-même qui était à l’origine du problème, mais des défaut de conception de la part des designers, expliquait le New York Times, en septembre dernier.

St.H.

Sources : Commission européenne, Département de la santé du Canada, Mattel, New York Times. Bapuji H. et Beamish P.W. Toy recalls – Is China the problem ? University of Manitoba, Asper School of business, August 31st, 2007.

Photo : Jouet Elmo au plomb rappelé l’été 2007.

[19 décembre 2007]

Le pop-corn, ce tueur méconnu

Paresse et gourmandise nappées de ce coulis d’overgadgétisation si typiquement américaine. C’est le début des années 80 et des ingénieurs de l’industrie agroalimentaire viennent d’inventer le pop-corn micro-ondable. Comme une sorte d’hommage involontaire et rétroactif à Percy L. Spencer qui, en 1946, avait découvert le four à micro-ondes – à l’aide justement d’un grain de maïs que les micro-ondes firent poper.

Gardons nous des généralisations culturelles, mais personne sur Terre n’ignore cette tragédie gustative : les Américains raffolent du pop-corn. Ils en gobent 16 milliards de litres par an. Soit 54 litres par “homme, femme ou enfant”, selon les statistiques du Popcorn Institute, association à but non lucratif créée en 1998 par le lobby du popcorn, dans son Encyclopedia popcornica en ligne.

Au début des années 2000, l’institut fédéral américain pour la santé et la sécurité en milieu professionnel, l’OSHA, enquête sur les ennuis de santé des employés d’une usine de pop-corn dans le Missouri. Tous sont atteints d’une maladie respiratoire extrêmement rare, et grave : la bronchiolite oblitérante avec pneumopathie en voie d’organisation (bronchiolitis obliterans en anglais). Seule une transplantation de poumon permet aux malades de survivre. Depuis surnommée “popcorn worker lung” (mot à mot : le poumon du travailleur du pop-corn), cette maladie a été formellement liée à une substance chimique, le diacetyl, dont les employés ont respiré les vapeurs.

Le diacetyl est une substance naturelle, que l’on peut trouver dans les produits laitiers, le vin ou les fruits. Mais l’industrie agroalimentaire l’a synthétisé en laboratoire. Et l’utilise comme additif pour la confection de diverses nourritures. C’est lui qui donne son arôme de beurre au pop-corn micro-ondable. Mais aussi à des margarines et huiles de cuisson. Il y en a donc dans les plats préparés, les snacks et les chips, entre autres.

Nul besoin d’être un agriculteur entouré d’un nuage de pesticides pour dévaster sa santé, donc. Le popcorn a ruiné l’existence d’Eric Peoples et de plusieurs dizaines d’employés du pop-corn. L’affaire n’empêchait personne de dormir à l’OSHA, jusqu’à ce que le New York Times publie une enquête magistrale en avril 2007, pointant les manquements dans la protection des travailleurs, abandonnés au non vouloir de l’industrie.

Il semblerait que la maladie du pop-corn puisse aussi toucher aussi les simples consommateurs. En juillet 2007, un médecin signale à la Food and Drug Administration (FDA) le cas d’un homme atteint de la même affection après avoir chauffé deux sacs de pop-corn à la suite et en avoir respiré les vapeurs.

L’OSHA a fini par éditer des recommandations et mesures de sécurité à l’adresse des industriels du secteur. Plusieurs fabricants de pop-corn ont cessé d’utiliser le diacetyl. Mais d’autres renaclent, sur le thème sempiternel du “il n’y a pas assez de preuves scientifiques.” L’administation Bush, aussi, fait de la résistance : aux États-Unis, le maïs est un enjeu économique majeur. Le Congrès a donc pris les choses en main. Après plusieurs auditions, il a voté le “Popcorn Workers Lung Disease Prevention Act“, qui enjoint l’OSHA a édicter des normes de sécurité dans les deux ans.

À la veille de Noël 2007, le journal Seattle Post-Intelligencer entreprend d’analyser une vingtaine de ces produits censés remplacer le beurre pour la cuisson (huiles, margarines et substituts de beurre). Pour la plupart, les taux de diacetyl atteignent les mêmes niveaux que ceux des vapeurs des usines, voire les dépassent.

Dès lors, il devient évident que le diacetyl n’est pas uniquement un problème sanitaire de l’ouvrier du pop-corn. C’est l’ensemble des personnes qui passent plusieurs par jour devant des poêles et des bacs de friture dans les restaurants qui sont concernés. Soit 6,2 millions de travailleurs, selon les chiffres du Bureau américain du Travail. Les syndicats de cuistots et d’employés de cuisine – qui représentent 2 millions de personnes – se mobilisent et en appellent au Congrès pour interdire le diacetyl.

Et en Europe ? Le diacetyl n’est pas vraisemblablement pas un problème strictement américain. L’IUF – une fédération internationale de syndicats de l’agroalimentaire, de la restauration et de l’hôtellerie – a averti son bureau de Genève afin que les professionnels européens du secteur soient informés.

St.H.

Sources : Associated Press, Centers for Disease Control and Prevention, Defending science, OSHA, Seattle Post-Intelligencer, USA Today.

Photo grâcieusement fournie par le Popcorn Institute.

[17 décembre 2007]

Le Rhône aux PCB

France 5 diffuse dimanche 16 décembre Rhône : le fleuve empoisonné, un documentaire sur la pollution massive du Rhône aux PCB (polychlorobyphényles – plus souvent appelés pyralènes en France). Pollution qui a conduit les préfectures des Bouches-du-Rhône, du Gard et du Vaucluse à interdire en 2007 la vente et la consommation de poissons pêchés dans le fleuve.

Les PCB appartiennent à la déplaisante famille des “douze salopards”, des polluants persistants interdits dans les 151 pays signataires de la Convention de Stockholm sur les produits organiques persistants (POP) de mai 2001.

Pour plus d’informations sur les PCB et ce “Tchernobyl à la française”, dixit le WWF, voir leur rapport de septembre 2007 qui fait le point sur la situation dans la région et explique la problématique des polluants persistants. Ou encore les vidéos que l’organisation a projetées lors de sa conférence de presse du 19 septembre.

Rhône : le fleuve empoisonné. Documentaire de 52 mn de Sébastien Deurdilly. Produit par Maximal productions, 2007. Dimanche 16 décembre, 22.20 et mardi 18 décembre 16.30 – France 5.

[14 décembre 2007]