Archives de catégorie : Perturbateurs endocriniens

Sale temps pour les biberons

Le glas sonne pour les biberons en plastique. Le 7 février 2008, un regroupement d’organisations environnementales américaines publiait un rapport qui montre très clairement qu’une substance toxique – le bisphénol-A – libérée par le plastique, contamine le lait et pollue les bébés.

Rapport BiberonsLes analyses scientifiques ont été réalisées par l’Université du Missouri, où travaille l’un des plus grands spécialistes mondiaux du bisphénol-A, le Pr Frederick vom Saal. Elles montrent que, lorsqu’ils sont chauffés, les biberons des marques Avent, Evenflo, Dr Brown’s et Disney/Premières années dégagent entre 4,7 et 8,3 parties par million* de bisphénol-A dans le lait infantile. (Télécharger le rapport)

Le problème du bisphénol-A, c’est qu’il imite les œstrogènes, les hormones sexuelles féminines. Il est donc capable de perturber le système hormonal du corps humain. Une propriété qu’il a en commun avec plusieurs centaines de polluants présents dans les produits de consommation courante et appelés perturbateurs endocriniens. Sur les rats et souris de laboratoire, le bisphénol-A provoque un grand nombre d’effets très déplaisants : tumeurs des glandes mammaires, cancers de la prostate, puberté précoce, fausses couches, anomalies des spermatozoïdes, diabète de type 2, altérations du système immunitaire, troubles du comportement, aberrations chromosomiques. Tout un programme qu’on préférerait épargner à ses enfants.

Les industriels du plastique soutiennent que les doses de bisphénol-A auxquelles sont exposées la population sont insuffisantes pour provoquer un quelconque effet nocif. Selon eux, la dangerosité potentielle du bisphénol-A serait un “mythe“. Pourtant, plus de 150 études scientifiques montrent des effets nocifs à de très faibles doses. Et même, à des doses inférieures à celles trouvées dans les biberons ou dans les urines de la population. Antonia Calafat, chercheuse aux Centers for Disease Control and Prevention américains, a dirigé la dernière étude sur l’exposition de la population au bisphénol-A, publiée le mois dernier dans la revue Environmental health perspectives. Son équipe a testé 2.517 personnes aux États-Unis. 92,6% d’entre elles avaient du bisphénol-A dans les urines. Ce sont les enfants et les femmes qui présentaient les plus fortes concentrations.

Le bisphénol-A sert à fabriquer une foultitude d’objets. On en trouve dans les amalgames dentaires, les CD, les bouteilles d’eau ou encore dans les récipients en plastique pour la conservation des aliments et le réchauffage au micro-ondes. Il sert aussi dans les résines époxy, ces vernis qui recouvrent l’intérieur des canettes de boisson et des boîtes de conserve, notamment pour le lait infantile en poudre.

Si certaines des marques de biberons testés dans ce rapport ne sont vendues qu’aux États-Unis, ce n’est pas le cas d’Avent, marque très populaire chez les jeunes parents français. Et, quoi qu’il en soit, les biberons sont généralement fait de plastique polycarbonate, qui contient du bisphénol-A : 95% d’entre eux selon la coalition environnementale auteur du rapport. Formé pour l’occasion, le Work group for safe markets réunit 15 associations environnementales sans but lucratif, parmi lesquelles le Center for Health, Environment and Justice ou encore le Breast Cancer fund. La coalition réclame des mesures immédiates et demande aux fabricants d’utiliser des plastiques plus sûrs pour les biberons.

Ce n’est pas la première fois que les biberons sont mis en cause. Il y a tout juste un an, l’organisation américaine Environment California parvenait aux mêmes conclusions. Relayée par les médias, l’information avait provoqué un scandale dans tout le pays. Une class-action avait été initiée contre les cinq principaux fabricants de biberons américains : Avent, Dr Brown’s, Evenflo, Gerber et Playtex. Une ruée des parents sur les biberons en verre avait mené à une rupture de stock dans tout l’État de Californie.

*Soit : sur un million de particules dans un volume donné, entre 4,7 et 8,3 sont des particules de bisphénol-A.

Sources : Calafat AM et al. Exposure of the U.S. population to bisphenol A and 4-tertiary-octylphenol : 2003-2004. Center for Health, Environment and Justice. Stiffler L. Health risk from popular plastic baby bottles, Seattle Post-Intelligencer (7.02.2008).

Quelques conseils pratiques :

– Préférer les biberons en verre ou les biberons en polyéthylène ou polypropylène (Chiffres 1 et 2 dans le symbole des triangles de recyclage). Le polycarbonate, qui contient du bisphénol-A, est identifié par le chiffre 7. Des tests réalisés par le magazine Parents permettent d’identifier le plastique de certaines marques de biberons commercialisées en France. Sont en polyéthylène, les biberons de la marque Medela et le biberon Initiation de Dodie.

– Ne pas réchauffer de la nourriture ou des boissons dans des récipients en plastique, en particulier au micro-ondes.

– Éviter les conserves et les canettes.

– Plus le plastique est usé et abîmé, plus il libère de bisphénol-A. Se débarasser de son vieux polycarbonate.

Pour en savoir plus

Comme toujours, peu d’informations sont disponibles en français sur le bisphénol-A. Le 6e chapitre de La grande invasion – Le plastique, c’est pas fantastique – est entièrement consacré à la question du bisphénol-A. Le dernier chapitre du livre parle plus spécifiquement du problème des biberons.

St.H.

[08 février 2008]

Le Teflon cuisine le monde

Son nom est barbare : acide de perfluorooctane (ou PFOA). Pourtant, tout le monde connaît indirectement cette substance chimique. Elle sert à fabriquer le Teflon qui recouvre nos batteries de cuisines (1). Mais pas seulement. On en trouve dans une multitude de produits qui vont des emballages de fast-food aux cosmétiques, en passant surtout par les moquettes où elle sert de traitement imperméable, anti-tache et anti-graisse. Tout comme l’autre célébrité de sa famille : le sulfonate de perfluorooctane (ou PFOS) qui n’est autre que le fameux Scotchgard.

TeflonLes composés perfluorés sont au total 175 à avoir des noms imprononçables. Et depuis plusieurs années, les scientifiques sont intrigués par une question : pourquoi polluent-ils la planète entière ? Ils ne parviennent pas à comprendre pourquoi de très importantes quantités de perfluorés se promènent dans la nature. Car ces produits quasi-magiques ont aussi cela de particulier qu’ils sont ubiquitaires et persistants dans l’environnement. PFOS et PFOA sont dans notre sang, la nature, l’eau et les organismes des animaux sauvages, jusqu’au pôle Nord. Jusqu’aux ours blancs. De nos jours, même le cordon ombilical des nouveaux-nés en contient. Dernier détail : en 2005, l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) a classé le PFOA “cancérogène possible” pour l’homme.

L’un des plus grands enjeux aujourd’hui est de déterminer d’où viennent exactement tout ce PFOA et tout ce PFOS. Pour cela, les scientifiques essaient de déterminer si le PFOA est un produit de dégradation. En d’autres termes, de déterminer si c’est l’ensemble des composés perfluorés, digérés et dégradés par les éléments et le temps, qui se transforment ensuite en PFOA. Dans ce cas, tous les perfluorés seraient de potentielles sources de pollution. Leur avenir à tous serait alors menacé.

Cela explique sans doute pourquoi DuPont affiche sa satisfaction à l’issue d’une étude de deux ans qui conclue par la négative. Géant mondial de la chimie, inventeur du Teflon en 1938, DuPont est le principal fabricant de Teflon dans le monde. Dans cette nouvelle étude, leurs chercheurs maison expliquent que le PFOA qu’ils détectent provient de résidus et d’impuretés libérés par les objet contenant du Teflon. Ils affirment ainsi que les perfluorés ne se dégradent pas sous la forme de PFOA.

Certains chercheurs contestent cependant leurs conclusions. Tout en saluant l’importance de l’étude, Cathy Fehrenbacker, responsable des investigations sur le PFOA pour l’EPA, met en garde contre toute “surinterprétation” des résultats et critique la méthodologie de l’étude. Pour sa part, le plus grand spécialiste de la détection des perfluorés dans la nature, Scott Mabury, et son équipe de l’université de Toronto ont montré en 2007 que le processus de dégradation des perfluorés en PFOA pouvait avoir lieu au sein d’un organisme vivant. Ils ont administré du polyfluoroalkyle phosphate à un rat de laboratoire. La substance s’est transformée en plusieurs formes dégradées, parmi lesquelles du PFOA, qui n’était pourtant pas présent au départ.

Il faudra sans doute attendre plusieurs années avant d’avoir la moindre certitude.

(1) Attention de ne pas se mélanger les pinceaux : le PFOA est un intermédiaire de fabrication du Teflon (lui-même polytétrafluoroéthylène, ou PTFE sous son identité chimique). Et non pas le Teflon ou un ingrédient du Teflon.

Sources : Rebecca Renner. Do perfluoropolymers biodegrade into PFOA ?, Environmental Science & Technology on line, 9 janvier 2008. D’eon J.C., Mabury S.A. Production of Perfluorinated Carboxylic Acids (PFCAs) from the Biotransformation of Polyfluoroalkyl Phosphate Surfactants (PAPS) : Exploring Routes of Human Contamination, Environmental Science & Technology, 2007 Jul 1 ; 41(13) : 4799-805.

Photo : St.H.

Pour en savoir plus : Il existe peu d’informations en Français sur les composés perfluorés. Le chapitre 3 de La grande invasion leur est entièrement consacré.

[11 janvier 2008]

Un nettoyant qui récure aussi les hormones

Est-ce vraiment nécessaire de désinfecter sa cuisine et sa peau comme un bloc opératoire ? Des antiseptiques puissants sont souvent ajoutés à des produits courants. Le triclosan est le plus connu. Mais il y a aussi le triclocarban, qu’on trouve dans les antiseptiques médicaux, savons, gels douches, lotions nettoyantes, lingettes et détergents. Nom de code : TCC ou 3,4,4′-trichlorocarbanilide.

Des chercheurs de l’Université de Californie-Davis et de l’Université de Yale viennent de découvrir que le triclocarban est un perturbateur endocrinien à l’action originale. Dans un article publié dans la revue scientifique Endocrinology, ils montrent que le triclocarban amplifie les effets de la testostérone, la principale hormone masculine, dans des cellules humaines en cultures (in vitro) et dans des rats de laboratoire (in vivo). C’est la première fois que ce mécanisme de perturbation endocrinienne est observé. Jusqu’ici, on avait plutôt l’habitude de découvrir que des substances chimiques imitaient ou bloquaient les hormones féminines, ou bien gênait les hormones masculines. Pas le contraire.`

Largement commercialisé en Europe et aux États-Unis depuis 45 ans, le triclocarban est produit à hauteur d’un million de livres par an rien que pour le marché américain. Il s’est disséminé dans l’environnement, en particulier dans les cours d’eau, aux États-Unis tout du moins.

Grenouille2Quant au triclosan, qu’on a plus de chances de détecter dans les dentifrices et les savons, il cause déjà des dégâts dans la nature : il est insuffisamment filtré par les stations d’épurations. À l’automne 2006, l’équipe de Caren Helbing, à l’Université de Victoria, au Canada, montrait que le triclosan perturbait les hormones thyroïdiennes des grenouilles sauvages. Il empêche le bon développement de leurs pattes.

Sources : Environmental Science and Technology, Chen J. et al. Triclocarban enhances testosterone action: A new type of endocrine disruptor ? Endocrinology. 2007, Nov 29 [Epub ahead of print]. Veldhoen N. et al. The bactericidal agent triclosan modulates thyroid hormone-associated gene expression and disrupts postembryonic anuran development. Aquat Toxicol. 2006 Dec 1;80(3):217-27.

Photo : Caren Helbing.

St.H.

[04 janvier 2008]

La hotte plombée du Père Noël

Barbie a pris une baffe. L’été 2007 bat son plein. Les journaux télévisés sont garnis de campeurs saucés de pluie, de vacanciers dépressifs et de président en bateau, quand, le 1er août, Mattel bat le rappel de près d’un million de jouets peinturlurés au plomb dans ses usines chinoises. Il y aura trois salves en tout. La seconde le 14 août, la dernière le 4 septembre. Des bestioles domestiques qui égayent le quotidien figé de Barbie aux aimants qui ferment les maisons roses des Polly Pocket, en passant par les couleurs de la rue Sésame plastifiée : au total, plus de 18 millions de jouets. Une véritable catastrophe industrielle.

Aux États-Unis, le groupe de pression Campaign for America’s future a bidouillé un clip pour protester sur les failles du système de contrôle. Barbie et Ken se revoient pour boire un verre. La rupture a, semble-t-il, brisé davantage Ken que Barbie. Un carton noir suggère une folle nuit in memoriam, sans les organes idoines, mais avec un nounours sous le baldaquin. Au réveil, ils sont déjà tout rhabillés, mais la coupe “just fucked” de Barbie laisse rêveur. Ils se promettent de s’appeler. Ce que Barbie ne manque pas de faire, une semaine plus tard, pour annoncer à Ken qu’il lui a refilé un truc : un empoisonnement au plomb. Pas de capote. Bravo Barbie et Ken. On vous rappellera pour faire de la prévention. L’idée de départ est assez drôle, la réalisation poussive et très cheap.

Barbie plombée

Le plomb n’est pas une bonne idée, globalement. Et pour les enfants encore moins. Ce métal lourd s’accumule dans les organismes. Il est neurotoxique, peut endommager les reins, l’ouïe, le QI et beaucoup d’autres choses. Son effet le plus connu, le saturnisme, est causé par les tuyauteries et les peintures au plomb dans les logements vétustes. (Vous trouverez ici plus d’informations sur les dangers du plomb et ses sources d’exposition.)

Tentant de rassurer des hordes de parents flippés, la Commission européenne fait de la pédagogie sur son système de contrôle des normes. Qui fonctionne très bien en Europe. La preuve : elle met en avant son programme RAPEX. Chaque année, la Commission met en scène sa galerie de petites horreurs constituée d’articles hors normes, saisis à l’importation, et auxquels les consommateurs ont échappé grâce à sa vigilance aigüe. En 2006, plus de 1.000 objets (une fois sur quatre, des jouets) ne correspondant pas aux normes de sécurité ont ainsi été saisis. Dans 9% des cas, il s’agissait d’un souci de substance chimique. Le plus souvent, le problème venait de petites pièces dangereuses avec lesquelles les plus jeunes peuvent s’étouffer. Presque la moitié de ces produits provenaient de Chine. Cependant, certains avaient été produits dans des pays européens et même en France. Le rapport RAPEX 2006 note enfin que 17% des produits étaient d’origine inconnue. La traçabilité du jouet semble nettement perfectible.

“Il est impossible, en ce bas monde, de fournir des garanties à 100 %”, a déclaré Meglena Kuneva, commissaire chargée de la protection des consommateurs, suite à l’affaire Mattel. Quelles garanties peut-on espérer pour la santé des enfants qui tripotent leurs jouets à longueur de journée. 90%, 70%, 40% ? “L’industrie du jouet a l’obligation légale de veiller elle-même à ce que tout jouet proposé aux consommateurs soit sûr”, rappelle la Direction Environnement de la commission sur son site. Avant d’ajouter : “or, les récents rappels ont montré que ce n’était pas le cas”. La révision du cadre réglementaire au sein de l’Union européenne est en cours. Un projet de révision de la directive sur les jouets est attendu pour le début 2008.

Cela dit, il n’y a pas que Mattel. Les rappels de jouets hors normes interceptés par RAPEX se comptent par dizaines depuis 2005. Cela dit également, des chercheurs canadiens ont travaillé la question et disséqué les statistiques des rappels de jouets au États-Unis depuis 1988. Leur étude parvient à la conclusion que, dans 76% des cas, ce n’était pas la fabrication en elle-même qui était à l’origine du problème, mais des défaut de conception de la part des designers, expliquait le New York Times, en septembre dernier.

St.H.

Sources : Commission européenne, Département de la santé du Canada, Mattel, New York Times. Bapuji H. et Beamish P.W. Toy recalls – Is China the problem ? University of Manitoba, Asper School of business, August 31st, 2007.

Photo : Jouet Elmo au plomb rappelé l’été 2007.

[19 décembre 2007]