Les Médicamenteurs sont en vente aujourd’hui.
Plusieurs échos dans les médias. Une longue interview dans Le Nouvel Observateur (voir l’intégralité ci-dessous), un papier dans Le Point, sur le site du médecin Dominique Dupagne et aussi l’article d’Anthony Lesme sur Bakchich.
Les Médicamenteurs : les labos nous font avaler la pilule
envoyé par bakchichinfo. – Vidéos des dernières découvertes technologiques.
Faut-il croire les experts ?
Le Nouvel Observateur – SEMAINE DU JEUDI 25 FÉVRIER 2010
Après la grippe A, ils sont sur la sellette. Prévisions erronées, doutes sur leur indépendance, ces spécialistes courtisés par les politiques et les médias sont-ils à la hauteur de leur renommée ? Après deux ans d’enquête, Stéphane Horel publie «les Médicamenteurs», un récit minutieux des liaisons dangereuses entre les laboratoires et les blouses blanches
Le Nouvel Observateur.-Les experts se sont trompés dans leurs prévisions sur la grippe A. Et voilà que l’on découvre, en vous lisant, qu’ils sont souvent liés à l’industrie pharmaceutique…
Stéphane Horel. – On nous avait annoncé des milliers de morts, il y en a eu en réalité 263, et on estime que les fabricants de vaccins ont engrangé dans cette histoire de 7 à 10 milliards de dollars. J’ai voulu comprendre comment on en était arrivé là, comment avait fonctionné le fameux Comité de Lutte contre la Grippe qui a guidé les décisions du ministère de la Santé. J’ai demandé des informations sur sa composition et je n’ai eu des réponses qu’au compte-gouttes. Après plusieurs semaines, j’ai constaté que, sur les 17 membres, 15 déclaraient des liens avec l’industrie pharmaceutique. Ils sont intervenants pour un congrès, responsables d’un essai clinique ou carrément consultants. Un certain nombre ont des liens directs avec des fabricants de vaccins ou d’antiviraux. L’un d’entre eux, par exemple, a participé à une étude sur le Tamiflu. D’autres sont membres du comité scientifique de Sanofi Pasteur sur les avancées vaccinales.
N. O. – Cela met-il forcément en doute leur compétence ?
S. Horel. – Non, bien sûr. Et travailler pour un laboratoire ne signifie évidemment pas que l’on est un pourri. Mais quand on conseille un gouvernement sur des questions de santé publique, on est censé ne pas oeuvrer dans le même temps pour ses intérêts professionnels ou pécuniaires. Je ne parle pas de corruption active mais d’influence inconsciente. Lorsqu’on a l’habitude d’aller une ou deux fois par mois dans un labo pour briefer ses confrères sur un produit de l’entreprise, peut-on rester totalement objectif quand on siège à la Haute Autorité de Santé ou au Comité de Lutte contre la Grippe A et que ce traitement est évoqué ?
N. O. – Et votre réponse est… non.
S. Horel. – Je dis qu’il y a un gros doute. Prenons un exemple précis : le 8 décembre 2009, le « British Medical Journal », l’une des plus grandes revues scientifiques, publie une étude indépendante montrant que l’efficacité du Tamiflu n’est pas démontrée. Deux jours après, la Direction générale de la Santé donne comme consigne aux médecins généralistes de le prescrire systématiquement en cas de doute (télécharger le document). Ce conseil est fondé sur un avis du Comité de Lutte contre la Grippe, dont huit membres collaborent avec Roche (le fabricant du Tamiflu).
N. O. – Le comité français par rapport à l’OMS, c’est, dites-vous, « Oui-Oui et la cornemuse enchantée ».
S. Horel. – En France, et au niveau européen, il existe au moins des recours pour accéder aux documents. L’OMS, c’est l’URSS, l’opacité totale. Plusieurs groupes ont pris en main le dossier grippe A, le comité d’urgence dont la composition est secrète, le groupe H1N1 et le Sage (Strategic Advisory Group of Experts), dont on connaissait les membres mais pas les liens d’intérêts. Il a fallu que deux journalistes danois révèlent que plusieurs de ses experts avaient des liens parfois très importants avec les labos pour que l’OMS finisse, à reculons, par les signaler. Albert Osterhaus, le conseiller du ministère de la Santé néerlandais, membre du groupe H1N1, avait annoncé des chiffres de pandémie apocalyptiques. On a fini par découvrir qu’il possédait 10% de Viroclinics Bioscience, qui vend des procédés aux laboratoires fabricants de vaccins contre le H1N1. Quant à son collègue, M. Eskola, membre du Sage, il a reçu pour ses recherches plus de 6,3 millions d’euros de GlaxoSmithKline (fabricant du vaccin H1N1 Pandemrix)…
N. O. – Vous insinuez même que ces experts à l’indépendance parfois trouble auraient pesé sur l’OMS au point de lui faire redéfinir la notion de pandémie.
S. Horel. – Je ne veux pas entrer dans la spéculation, contentons-nous des faits : plusieurs pays, dont la France, avaient signé des contrats dormants au moment de la grippe aviaire, qui devaient se réveiller au cas où l’OMS déclarerait une pandémie de grippe. C’est le comité d’urgence, dont on ne connaît pas la composition, qui soudain modifie sa définition de la pandémie, jusqu’à faire d’elle une simple épidémie de grippe saisonnière (1). Et là, jackpot immédiat pour les labos… En France, les contrats passés prévoyaient une commande immédiate de 28 millions de vaccins à Sanofi Pasteur, 12 millions à Novartis, la ministre de la Santé porta ce chiffre à 94, puisque les experts disaient qu’il fallait une double dose.
N. O. – Est-ce que Roselyne Bachelot a été influencée par son passé d’ex-visiteuse médicale…
S. Horel. – Je ne dis pas ça, même si je me demande pourquoi ces années-là sont gommées de son CV officiel. C’est la proximité du pouvoir avec les labos en général qui pose problème et elle ne date pas de la grippe A. Ce qui est sûr, c’est que ce gouvernement qui voulait à tout prix éviter un scandale sanitaire en a créé un, à l’envers. Car, dès l’été, on pouvait réviser les prévisions à la baisse, changer les plans, éviter ce gâchis.
N. O. – Mais ces experts que vous mettez en cause sont souvent des médecins très compétents.
S. Horel. – Indéniablement. Mais le problème, c’est qu’il est rare de trouver des experts indépendants. Le désengagement progressif de l’Etat a mené par exemple à ce que les labos financent 74% des essais cliniques. Un médecin hospitalier n’a plus vraiment le choix, à moins de renoncer à faire de la recherche, à publier des articles scientifiques, à moins, donc, de faire une croix sur sa carrière. Les fabricants de médicaments disent que « l’indépendance totale est un gage d’incompétence ». Tout le monde agit comme si c’était un état de fait.
N. O. – Et ce sont ces hospitaliers qui se retrouvent le plus souvent comme experts dans les hautes instances…
S. Horel. – Oui, prenons l’exemple de l’Afssaps (Agence française de Sécurité sanitaire des Produits de Santé), l’organisme chargé de contrôler les médicaments avant et après leur mise sur le marché. Son budget, faible, l’oblige à recourir à 2 000 experts externes, payés 67 euros brut la vacation. Alors il arrive que certains d’entre eux examinent le dossier d’un médicament ou d’une firme pour lequel il travaille ou a travaillé.
N. O. – Mais ne sont-ils pas dans l’obligation de remplir une déclaration publique d’intérêts ?
S. Horel. – Si, mais l’acte est volontaire, personne n’en vérifie l’exactitude. Et on ne sait pas comment les conflits d’intérêts sont gérés, les réunions ne sont pas publiques. Quand on sait que sur trente membres de la commission d’autorisation de mise sur le marché, un seul ne déclare aucun lien d’intérêts…
N. O. – Ces experts ont-ils les moyens de contrôler la fiabilité des études ?
S. Horel. -Non, évidemment. Les laboratoires ont la main mise sur leurs essais cliniques, ils ont même des subterfuges pour les biaiser : tester le médicament sur des sujets pas trop âgés, le comparer à un simple placebo, à un traitement qui ne marche pas, ou bien carrément écarter les résultats gênants… Des chercheurs américains ont constaté que les essais financés par l’industrie étaient quatre fois plus susceptibles d’être favorables au médicament. Personne ne va vérifier pourquoi une firme qui a fait douze essais sur tel médicament, n’en a dévoilé que cinq. En France, plus de 90 % des médicaments présentés reçoivent une autorisation de mise sur le marché.
N. O. – Mais aucun laboratoire n’a intérêt à sortir un médicament inefficace ou potentiellement dangereux…
S. Horel. – Et pourtant, ça peut arriver. Souvenez-vous par exemple de l’Acomplia, le médicament miracle contre l’obésité, de Sanofi. Il a fallu deux ans pour que les autorités sanitaires prennent en compte ses effets secondaires neuropsychiatriques et décident de le retirer du marché. Entre-temps 220000 personnes en France l’avaient absorbé. Autre scandale, celui du Vioxx, un anti-inflammatoire destiné aux douleurs de l’arthrose, lancé à grand renfort de publicités par Merck, alors même que des études montraient des risques cardiovasculaire accrus. Les autorités sanitaires sont contentées de dire :« On reste vigilant, on va suivre. » Finalement le Vioxx a été retiré en 2004, après avoir provoqué, selon un épidémiologiste de la FDA (Food and Drug Administration), entre 88 000 et 140 000 accidents cardiovasculaires.
N. O. – En général, les nouveaux médicaments sont tout de même efficaces.
S. Horel. – Les laboratoires créent sans cesse de nouveaux médicaments pour contourner les génériques, ils sont plus chers et pas forcément plus efficaces. Les chiffres de la Haute Autorité de Santé parlent d’eux-mêmes : 96% des nouveaux médicaments n’apportent rien ou presque par rapport aux médicaments déjà sur le marché. Prenons le cas des traitements contre l’hypertension : une grande étude américaine démontre que les diurétiques sont les remèdes les moins chers, les plus efficaces… mais pas les plus vendus. Parce que les labos se sont arrangés pour la passer sous silence. L’un d’entre eux, Pfizer, a même organisé, lors d’un congrès de cardiologie, une visite touristique pour les médecins au moment même où les auteurs de l’étude américaine parlaient !
N. O. – Votre ouvrage donne l’impression que les laboratoires ont infiltré tout le monde médical, de la fac de médecine au cabinet des généralistes en passant par les hautes autorités sanitaires.
S. Horel. – Oui, ils sont partout où l’Etat s’est désinvesti. Ca commence en fac de médecine quand, à la rentrée, les labos distribuent des cartables et des stylos à leur logo. Ils organisent des concours blancs pour le concours de sixième année, paient les pots de départ des internes. Ils financent aussi les essais, les revues, la formation médicale, les congrès…
N. O. – Mais un médecin perd-il automatiquement sa liberté de jugement quand un labo lui paieun voyage pour un congrès.
S. Horel. – Quand je vois à la tribune d’un congrès de généralistes un nutritionniste d’un CHU de province payé par McDonald’s, un expert de l’ONU pour l’alimentation membre du conseil de l’Institut du Porc et du Comité interprofessionnel de la Dinde française, j’ai des doutes sur son objectivité. J’imagine que, nécessairement, cela induit une façon de penser. Ce qui est grave, c’est qu’en France on ne sait jamais qui parle, les médias ne mentionnent pas les liens d’intérêts des médecins qu’ils interrogent, alors qu’une loi impose aux médecins de les déclarer. L’imbrication entre le privé et le monde de la santé est énorme, et elle a évidemment des conséquences pour les finances publiques. De 80% à 90% des consultations en France se soldent par une ordonnance de médicaments, contre 72% en Allemagne et 43% aux PaysBas. Si la France est le plus gros consommateur de médicaments au monde, ce n’est sûrement pas parce que les Français sont hypocondriaques.
(1) Courant mai 2009, l’OMS change sa définition : « Une pandémie de grippe se caractérise par l’apparition d’un nouveau virus de la grippe contre lequel la population humaine n’est pas immunisée. » L’allusion au « nombre énorme de morts et de malades » a étrangement disparu.
« Big Pharma » en 6 chiffres
– Pour l’industrie pharmaceutique, chaque Français représente 284 euros de chiffre d’affaires en médicaments. (Inspection générale des Affaires sociales-Igas)
– 96% des médicaments présentés par les firmes en 2008 n’amélioraient pas ou insuffisamment le service médical rendu. (Haute Autorité de Santé)
– En France, un cinquième des effectifs de l’industrie pharmaceutique est constitué de visiteurs médicaux. (LEEM, Syndicat national de l’Industrie pharmaceutique)
– Les médecins généralistes reçoivent en moyenne 333 visiteurs médicaux par an. (Igas)
– L’industrie consacrerait 24,4% de son chiffre d’affaires au marketing, contre 13,4 % pour la recherche. (Commission européenne)
– Pour conseiller un laboratoire pharmaceutique, un médecin peut le faire gracieusement, comme il peut être rémunéré jusqu’à 600 000 euros. (Igas)
Stéphane Horel
Documentariste et journaliste, Stéphane Horel publie aux Editions du Moment « les Médicamenteurs », en librairie le 25 février. Elle est également pigiste pour « le Canard enchaîné ».
Pour une veille déontologique
Des experts totalement affranchis de l’industrie pharmaceutique ? « Si on va au bout de cette idée, cela voudrait dire que toute la production du médicament est assurée par le public», autant dire une chimère, pour Fabienne Bartoli, numéro deux de l’Afssaps. Les 400 « évaluateurs internes» de la maison qui jaugent l’efficacité des médicaments avant leur mise sur le marché ne suffisant pas à la tâche, l’Agence française de Sécurité sanitaire fait appel à quelque « 2 000 experts externes ». Ces derniers doivent déclarer leurs conflits d’intérêts. Mais le font-ils vraiment ? « Nous sommes vigilants. Cela dépend des individus mais, globalement, dit-elle, j’observe plutôt de la bonne volonté. » Quand le lien de l’expert avec un laboratoire est « mineur », la « collégialité et la transparence » des décisions sont un rempart suffisant, assure-t-elle. « Si un expert a un lien direct avec un labo, par exemple comme pharmacien responsable chez Roche, alors il ne sera pas chargé à l’Afssaps du dossier Tamiflu. Il ne sera pas même au courant de ce dossier, ou d’un dossier concurrent du Tamiflu. » A condition de le savoir… Tout est là. Le système français gagnerait à se renforcer d’une « cellule de veille déontologique ».
Théorie du complot
Si les scientifiques voulaient faire du business, ils ne resteraient pas chercheurs », dit Bruno Lina. Sa « déclaration publique d’intérêts » aurait-elle trop tardé, comme le soutient Stéphane Horel ? Le chercheur ne voit pas où est le problème. Car, explique-t-il, les membres du Comité de Lutte contre la Grippe (CLCG) n’y étaient nullement tenus, ajoutant : « C’est à ma demande qu’elle a été donnée, puis mise en ligne. » De toute façon, le CLCG ne dispose d’aucun pouvoir décisionnel, ayant « un avis purement consultatif». Selon le professeur Lina, toute supposition inverse « relève du fantasme ou de la théorie du complot ». Quant aux quatre exemples de « rémunération personnelle » épinglées pour 2009 dans « les Médicamenteurs », émanant de Novartis (pour un travail sur les vaccins antigrippaux), Roche (antiviraux et informations grippe H1N1 et H5N1) et GSK (vaccins antigrippaux), l’éminent virologue lyonnais les nie. Il nous invite même à… aller voir sa feuille d’impôts. Celle-ci démontrerait qu’il n’a «pratiquement aucun revenu autre que ceux d’un fonctionnaire de l’Etat » : toutes ses « ressources industrielles » vont à son laboratoire de recherche du CNRS ou aux Hospices civils de Lyon.
Alli et moi
Bernard Guy-Grand ne se refuse jamais un petit plateau télé. Ce matin, il roule vers LCI pour un débat intitulé : « Trop de viande dans nos assiettes » ? L’ex-chef du service de nutrition de l’Hôtel-Dieu va y retrouver le directeur du CIV, le Centre d’Information des Viandes, qui a financé le dernier numéro de ses « Cahiers de nutrition et de diététique » … consacré à la viande. Evidemment les téléspectateurs n’en savent rien. « Je ne vois pas où est le problème », s’agace le professeur. Il a passé sa vie à collaborer avec le monde marchand. « Dès qu’un médecin fait de la recherche, il est sollicité par les labos pour tester leurs médicaments. » Tous se sont offert ses lumières, Roche, GSK, Servier… avec qui il a développé l’Isoméride, une pilule contre l’obésité retirée du marché en 1997. Chaque collaboration était rondement rémunérée sur le compte d’une association destinée, jure-t-il, à faire tourner son service. Seul l’Institut Danone, qu’il présida durant six ans, lui versait personnellement environ 30 000 euros par an. « Multiplier les liens avec les firmes permet de financer la recherche quand les fonds publics manquent. C’est aussi la meilleure garantie d’indépendance. Je me suis toujours senti libre », assure Bernard Guy-Grand. La retraite n’a rien changé à ses habitudes. L’an dernier, GSK l’a de nouveau sollicité pour le lancement d’Alli, sa pilule miracle contre l’obésité. A 74 ans, le professeur a animé la conférence de presse, répondu à des dizaines d’interviews. Peu ont mentionné ses liens avec le laboratoire anglais. « Est-ce ma faute si les journalistes se contentent d’interroger les médecins conseillés par les agences de com ? Si vous voulez des experts totalement indépendants, à vous de les chercher… à supposer qu’il y en ait. »
Fabien Gruhier, Sophie des Deserts, Marie Guichoux Le Nouvel Observateur