Archives de catégorie : Endoc(t)rinement

Endoc(t)rinement – version écrite

arton56623-74c0cDans le dernier numéro de Terra Eco, je publie un article qui raconte l’enquête du film, avec des documents inédits en bonus. Lire Petits arrangements bruxellois entre amis du bisphénol A. Autre bonus, ou plutôt café gourmand : l’email que m’a envoyé Anne Glover, la conseillère scientifique auprès du président de la Commission européenne, pour se plaindre de la façon dont son rôle dans le dossier perturbateurs endocriniens a été dépeint dans le film. Lire Nos révélations face aux pressions de la conseillère scientifique en chef de Bruxelles.

Terra Eco est en difficulté. Vous pouvez vous abonnez, ou les soutenir moralement et financièrement ICI.

 

Endoc(t)rinement – Petite revue de presse

(Cliquer sur les images pour les agrandir)

–Stéphane Foucart dans Le Monde :

2014.08.04 LM RTV copie

 

– Yohav Oremiatzki dans Télérama (le papier et la critique).

– Jean-Claude Renard dans Politis (Lobbies à Bruxelles et Le service public cache sa science).

–Sorj Chalandon dans Le Canard Enchaîné :

2014.08.06 Canard Enchaîné

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

–Une interview dans le Journal de l’Environnement (Les perturbateurs endocriniens, cas d’école de la « manufacture du doute »)

–Fabrice Nicolino dans Charlie Hebdo :

2014.08.13 Charlie Hebdo

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

–Et le papier dans Ouest-France édition Manche, qui fait bien plaisir :Ouest-France.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

– Voir aussi mes contributions sur le site du Huffington Post.

– RFI – Chronique science du 28 septembre.

Endoc(t)rinement – Le 9 août à 19h sur France 5

Cliquez ici pour (re)voir le film en ligne jusqu’au 16 août.

À Bruxelles, un compte à rebours a commencé. L’Europe pourrait interdire les perturbateurs endocriniens, ces substances omniprésentes qui compromettent la santé des enfants en piratant leur système hormonal. Mais cette promesse menace des intérêts colossaux. Les générations futures mandatent un bébé astucieux pour enquêter sur la bataille d’influence que se livrent industriels, scientifiques et ONG dans les coulisses de la démocratie européenne.

Fruit de 18 mois d’enquête, Endoc(t)rinement expose la complaisance d’institutions européennes perméables à l’influence de l’industrie. Attaque de chercheurs indépendants, instrumentalisation de la science, conflit d’intérêts : le film dévoile les stratégies des lobbys de la chimie et des pesticides, empruntées à l’industrie du tabac, pour court-circuiter la réglementation.

Endocrination (2014)

A countdown has begun in Brussels. Europe is considering a ban on endocrine disruptors, ubiquitous chemicals that hijack children’s hormonal systems and impair their health. But the potential regulation is a threat for a vast array of economic interests. The future generations mandate an astute baby to lead a behind the scenes investigation of European democracy where industry, scientists and NGOs fight for influence.

The result of an 18-month investigation, Endocrination exposes the indulgence and sensitivity of the European institutions towards corporate influence. Attack of independent researchers, instrumentalisation of science, conflicts of interest: the film also lifts the veil on the various strategies used by the chemical and pesticides lobbies, borrowed from the tobacco industry’s tool-box, to short-circuit the forthcoming regulation.

–>For foreign distribution, please contact What’s Up Films: + 33 1 55 28 94 95 – contact(at)whatsupfilms.com /

Un scientifique lié à l’industrie démissionne d’un Comité scientifique de l’UE

EHN logoUne petite suite à mon enquête publiée le mois dernier sur le site américain Environmental Health News. (Version française de l’enquête ici).

Wolfgang Dekant vient de démissionner de l’un des trois Comités scientifiques de la Commission européenne, le Comité scientifique des risques sanitaires émergents et nouveaux (CSRSEN) – en anglais Scientific Committee on Emerging and Newly Identified Health Risks (SCENIHR).

Ce scientifique allemand faisait partie des auteurs d’un éditorial controversé sur le projet de réglementation européenne des perturbateurs endocriniens.  Environmental Health News avait révélé que dix-sept de ses dix-huit auteurs ont collaboré avec l’industrie chimique, pharmaceutique, cosmétique, et celles du tabac, des pesticides ou des biotechnologies.

Wolfgang Dekant assure avoir démissionné de sa propre initiative. Des 17 auteurs de l’éditorial, il était le plus impliqué avec des industries concernées par la future réglementation sur les perturbateurs endocriniens.

Mon dernier article contient de nouvelles informations sur ses conflits d’intérêts. Lire l’article ici : Scientist with extensive industry ties quits EU advisory panel. Environmental Health News, 15 octobre 2013.

Tableau d’honneur

CJR UneLa nuit dernière, la Columbia Journalism Review a décerné un « Laurel » (laurier) à mon enquête sur les conflits d’intérêts de 17 scientifiques à l’origine d’un éditorial controversé sur les perturbateurs endocriniens. Cette revue est publiée par la prestigieuse Université de Columbia (États-Unis), qui est une référence en matière de journalisme.

L’enquête racontait que 17 rédacteurs en chef de revues scientifiques hostiles au projet de réglementation européenne des perturbateurs endocriniens étaient liés à l’industrie. Cet article, que j’ai écrit avec mon confrère américain, Brian Bienkowski, avait été publié sur le site d’informations  Environmental Health News le 23 septembre dernier.

Une version française de l’article est disponible ici.

Perturbateurs endocriniens : conflits d’intérêts à haute dose


Un groupe de scientifiques à l’origine d’un éditorial hostile au projet de réglementation européenne des perturbateurs endocriniens est lié à l’industrie.

Par Stéphane Horel et Brian Bienkowski
Article publié par Environmental Health News, 23 septembre 2013
Mis à jour le 4 octobre
Télécharger le PDF de l'article

Version pdf de l’article

P1070380 copie

Le boulevard Charlemagne depuis le siège de la Commission européenne, à Bruxelles [Photo St. Horel].

Dix-sept sur dix-huit. Selon une enquête d’Environmental Health News, la quasi totalité des auteurs d’un éditorial controversé sur le projet de réglementation européenne des perturbateurs endocriniens sont liés à l’industrie. Ces dix-sept rédacteurs et rédacteurs en chef de plusieurs revues de toxicologie ont collaboré avec l’industrie chimique, pharmaceutique, cosmétique, et celles du tabac, des pesticides ou des biotechnologies. Certains ont bénéficié de financements d’associations industrielles. D’autres ont travaillé comme consultants ou conseillers [Voir ci-dessous Conflits d’intérêts : révélations sur des scientifiques liés à l’industrie].

Publié dans quatorze revues scientifiques entre juillet et septembre, l’éditorial a soulevé une vague d’indignation dans le milieu scientifique européen et à Bruxelles. Le texte critique le projet de proposition de la Direction Générale de l’Environnement de la Commission, fuité en juin. Ce projet recommande une approche de précaution qui pourrait mener à l’interdiction de produits chimiques d’usage courant. Les signataires de l’éditorial, qui comptent plusieurs professeurs de toxicologie d’universités européennes, estiment que le projet, « sans base scientifique », « défie le sens commun, la science bien établie et les principes de l’évaluation des risques ». La proposition pourrait avoir des « implications inquiétantes » pour la « science, l’économie et le bien-être de l’humanité dans le monde entier », et elle est « dépourvue de la rigueur scientifique qu’exigent des dispositions législatives aussi importantes », écrivent-ils.

Les perturbateurs endocriniens sont des produits chimiques qui peuvent interférer avec les hormones comme l’œstrogène, la testostérone ou les hormones thyroïdiennes. On les trouve dans les produits de consommation courante comme les aliments, les cosmétiques, les pesticides et les plastiques. Parmi eux, le bisphénol-A, contenu dans les plastiques rigides, certains tickets de caisse ou le vernis intérieur des boîtes de conserve ; les phtalates, utilisés dans les parfums et le vinyl ; ainsi que certains pesticides et retardateurs de flamme. Leurs effets sur la santé humaine sont incertains, mais de nombreuses études sur l’animal, ainsi que des études sur l’homme, les relient à des troubles de la reproduction, des cancers et d’autres maladies.

Les enjeux de la controverse sont importants. La Commission européenne est engagée dans l’élaboration d’une stratégie pour réglementer les perturbateurs endocriniens. L’Europe deviendrait alors la première région au monde à se doter de nouvelles règles du jeu qui auraient des répercussions à l’échelle globale : l’ensemble des industriels qui commercialisent des produits sur le marché européen devront s’y soumettre, tous secteurs confondus.

Des conflits  « inquiétants »
Les scientifiques qui ont répondu aux questions de Environmental Health News démentent avoir été influencés par l’industrie. Toxicologue et auteur principal de l’éditorial, Daniel Dietrich a conseillé un organisme industriel financé par le secteur de la chimie, des pesticides et du pétrole qui est impliqué dans le lobbying sur les perturbateurs endocriniens auprès de la Commission européenne. « Nous pensons que le débat sur les conflits d’intérêts ne rendra service à personne parce qu’il détourne l’attention du vrai problème », a déclaré Daniel Dietrich lors d’un entretien.

D’autres scientifiques s’interrogent pourtant sur les motivations des auteurs et relèvent l’absence de publication de leurs liens éventuels avec l’industrie [NDLR. Les articles publiés dans la littérature scientifique sont en général accompagnés d’une déclaration d’intérêt des auteurs. Ce n’était pas le cas de l’éditorial de Dietrich]. Un éditorial critiquant une proposition de politique publique est une « initative inhabituelle » pour des rédacteurs de revues scientifiques, jugent-ils.

Ake Bergman

Åke Bergman, Université de Stockholm.

« Cet éditorial me surprend beaucoup. Je le trouve émotionnel et vague. Il mélange science et politique et comporte trop d’erreurs », confie Åke Bergman, chercheur en chimie environnementale à l’Université de Stockholm. Mis au courant des conflits d’intérêts des auteurs, il les a qualifiés d’« inquiétants ». Le 27 août, quarante et un scientifiques sans conflits d’intérêts déclarés – dont Åke Bergman – ont publié une réfutation dans la revue Environmental Health. Ils y estiment « préoccupant que l’éditorial de Dietrich semble avoir été conçu comme une intervention destinée à avoir un impact sur les décisions imminentes de la Commission européenne ». L’éditorial, écrivent-ils, « ignore les preuves scientifiques et les principes bien établis de l’évaluation des risques des produits chimiques ». Spécialistes reconnus au niveau mondial, quatorze des auteurs de cette réponse, dont Åke Bergman, ont participé à la rédaction d’un récent rapport sur les perturbateurs endocriniens pour l’Organisation mondiale de la Santé et le Programme des Nations unies pour l’Environnement. Ce rapport qualifiait les perturbateurs endocriniens de « menace mondiale à laquelle il faut apporter une solution ».

Une seconde réfutation, signée celle-là par 104 scientifiques et rédacteurs de revues scientifiques a été publiée le 18 septembre.  L’éditorial de Dietrich et ses collègues « dessert la Commission européenne, la science – y compris le domaine de la toxicologie –, et surtout la santé publique », écrivent-ils dans la revue Endocrinology. L’un de ses signataires, Pete Myers, fondateur de Environmental Health News, est directeur scientifique de l’organisation Environmental Health Sciences et rédacteur en chef adjoint de la revue Endocrine Disruptors.

La stratégie de la Commission européenne
La Commission européenne prévoit de réguler les perturbateurs endocriniens en modifiant trois de ses règlements. Au cœur du processus, deux questions controversées. Tout d’abord, la Commission doit décider si ces substances sont inoffensives en dessous d’un certain seuil de concentration. Si aucun seuil ne peut être déterminé, l’industrie devra alors démontrer que les bénéfices socio-économiques l’emportent sur les risques pour la santé humaine, ou bien qu’il n’existe pas d’alternative. Sans quoi ils seraient interdits dans le cadre de REACH, la réglementation européenne sur les produits chimiques industriels adoptée en 2006. La seconde question concerne les perturbateurs endocriniens de la famille des pesticides et des biocides, déjà soumis à de nouvelles réglementations qui exigent leur retrait du marché. Encore faut-il que la Commission élabore les critères précis qui permettront de les identifier.

La Commission devait annoncer sa proposition finale cette année. Mais elle envisage désormais de lancer une « étude d’impact »(« impact assessment »), une procédure qui pourrait retarder l’ensemble des décisions jusqu’à la fin de l’année prochaine.

Le lobbying des industriels de la chimie, des pesticides, des cosmétiques et du plastique auprès de la Commission s’oppose à toute réglementation supplémentaire. L’industrie affirme que des seuils existent pour les perturbateurs endocriniens et conteste l’approche de précaution pour l’établissement des critères d’identification.

Dietrich

L’éditorial critiquant la Commission européenne.

Les 18 auteurs de l’éditorial critiquent l’approche de l’Union européenne, qu’ils estiment « fondée sur une quasi ignorance de principes de pharmacologie et de toxicologie à la fois bien établis et intégrés dans l’enseignement ». Ils affirment que l’on peut déterminer un seuil pour les perturbateurs endocriniens, et que les toxicologues devraient faire la distinction entre les effets qui déclenchent une réponse d’adaptation du système hormonal et de réels effets nocifs.

Mais d’autres scientifiques désapprouvent leur position. Les perturbations hormonales au cours du développement peuvent avoir des effets irréversibles, répliquent Åke Bergman et ses collègues dans leur réfutation. Quant à « l’existence d’un seuil pour les perturbateurs endocriniens », ajoutent-ils, elle ne peut être « démontrée de façon expérimentale ». Des scientifiques soutiennent que les études sur l’animal montrent que le bisphénol-A et d’autres perturbateurs endocriniens peuvent être nocifs pour le fœtus à de faibles doses, tandis que des doses plus élevées n’ont pas d’effets ou des effets différents.

« Dans son aspect le plus préoccupant, l’éditorial de Dietrich et ses collègues brouille les frontières entre ce qui relève de la science et ce qui appartient aux domaines des choix politiques, sociétaux et démocratiques », écrivent les 41 auteurs de la première réfutation. L’éditorial de Dietrich était en effet accompagné d’une lettre signée par 71 scientifiques – parmi lesquels certains auteurs de l’éditorial – qui exhorte la Conseillère scientifique principale auprès du Président de la Commission européenne, Anne Glover, à intervenir dans le débat. Au moins 40 d’entre eux ont des liens avec diverses industries. L’organisation européenne des industries des pesticides – European crop protection association (ECPA) – a récemment apporté son soutien à leur démarche.

Influencé par l’industrie ? « La  question est complètement idiote »
Rédacteur en chef de la revue Environmental Health, Philippe Grandjean a pressé Dietrich et ses collègues de corriger leur « oubli » concernant la mention de leurs conflits d’intérêts potentiels. « C’est important que les universitaires partagent leur savoir avec les parties prenantes. Mais quand des intérêts financiers sont en jeu, il est également important que cela soit rendu public », estime Philippe Grandjean, qui est professeur et directeur de recherche en médecine environnementale à l’Université du Danemark du Sud, et professeur associé en santé environnementale à l’école de santé publique de Harvard.

Daniel Diterich

Daniel Dietrich, Université de Constance.

De son côté, Daniel Dietrich soutient que l’absence de déclaration des conflits d’intérets est due à la nature du texte – un éditorial –, et qu’il ne s’agissait pas de publier « des données sur telle ou telle substance ». Que l’industrie ait apporté son soutien à lettre destinée à Anne Glover est, d’après lui, hors de propos. « Il y a des choses qu’on ne peut pas contrôler. Si quelqu’un – que ce soit l’industrie chimique, la Commission européene, ou n’importe qui – vient me dire “c’est une bonne idée”, cela ne veut pas nécessairement dire que je suis affilié avec tel ou untel », avance Daniel Dietrich, qui est rédacteur en chef de la revue Chemico-Biological Interactions et directeur du groupe de recherche en toxicologie environnementale à l’Université de Constance, en Allemagne.Daniel Dietrich est un ancien conseiller du Centre européen d’écotoxicologie et de toxicologie des produits chimiques (ECETOC), qui est financé par des industriels de la chimie, des pesticides et du pétrole. Il a également publié dans la littérature scientifique avec des employés de Dow Europe et de firmes pharmaceutiques.

Quand on lui demande si son implication avec l’industrie a influencé son opinion sur le projet de réglementation, Bas Blaauboer, rédacteur en chef de la revue Toxicology in vitro, réplique que « la  question est complètement idiote ». « Quand on travaille dans une université, on collabore avec des gens partout dans le monde, y compris avec des gens qui travaillent dans l’industrie. Mais on a toujours la liberté de dire ce que l’on veut », affirme-t-il. « Si vous arrivez à identifier un seul de mes propos qui serait manifestement influencé par ce type de conflits d’intérêts, faites-le moi savoir. Mais vous n’en trouverez pas. » Professeur de toxicologie à l’Université d’Utrecht aux Pays-Bas, Bas Blaauboer, a reçu 399.676€ de fonds de recherche du Conseil européen de l’industrie chimique (CEFIC) entre avril 2008 et mars 2010. Il est également membre d’un comité technique sur l’évaluation des risques au sein de l’International Life Sciences Institute (ILSI), une organisation financée par l’industrie.

Être financé par l’industrie, « manière normale de procéder »
Obtenir de l’argent auprès de plusieurs sources – notamment l’industrie –, est une « manière normale de procéder » pour faire de la recherche aujourd’hui, explique Wolfgang Dekant, rédacteur en chef de la revue Toxicology Letters et professeur de toxicologie à l’Université de Würzburg, en Allemagne. « On ne peut plus faire de recherche si l’on ne va pas chercher de l’argent, toutes sources confondues. » Wolfgan Dekant a bénéficié d’un financement de l’industrie chimique pour une étude sur le bisphénol A publiée en 2008, et a signé 18 contrats de consultant au cours des cinq dernières années. Il dément toute influence de l’industrie.

Jan Hengstler, rédacteur en chef de la revue Archives of Toxicology, a dirigé une analyse de la littérature scientifique sur le bisphénol-A en 2011. Parmi ses co-auteurs figuraient un employé d’une division de Bayer AG, le premier producteur de bisphénol-A ; ainsi qu’un scientifique lui-même auteur d’une étude menée pour le compte de l’American Chemistry Council sur le bisphénol-A [NDLR : American Chemistry Council est l’association des industries chimiques américaines]. L’étude avait conclu que « l’exposition ne représent[ait] aucun risque notable pour la santé de la population humaine, y compris les nouveaux-nés et les bébés ».

Lors d’un entretien, Jan Hengstler a déclaré ne pas avoir de liens avec l’industrie. « Je ne m’intéresse qu’aux choses scientifiques », dit ce chercheur, qui dirige le Centre de recherche Leibniz sur les l’environnement de travail et les facteurs humains (IFADO) à l’Université technique de Dortmund, en Allemagne.

Nigel Gooderham, rédacteur en chef de la revue Toxicology Research, collabore ou a collaboré avec les industries agroalimentaire, pharmaceutique, et celle des pesticides. « Je n’avais rien à gagner de quelque firme que ce soit en signant ce document. Je l’ai fait en me reposant uniquement sur ma réflexion et mon analyse scientifique », a déclaré Nigel Gooderham, qui est professeur de toxicologie moléculaire à l’Imperial College de Londres.

Rédactrice en chef de la revue ALTEX, Sonja von Aulock n’a pas de liens connus avec l’industrie. Mais selon elle, collaborer avec l’industrie « ne veut pas dire que les scientifiques sont biaisés par d’éventuels intérêts financiers de l’industrie, ou qu’ils se gardent de prendre des positions qu’ils estimeraient ne pas être dans l’intérêt de la santé publique ».

Olavi Pelkonen, Kerstin Stemmer, Hans Marquardt et Albert Li ont également reconnu des collaborations passées ou en cours, mais nient tout conflit d’intérêts. Abby Collier, Gio Batta Gori, Alan Harvey, A. Wallace Hayes, James Kehrer, Florian Lang, Frans Nijkamp et Kai Savolainen n’ont pas répondu aux sollicitations de Environmental Health News.

Les responsables de la Commission européenne, eux, soulignent que la réglementation des perturbateurs endocriniens reposera sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles. « Nous souhaitons tous que nos décisions soient fondées sur la science », assure Joseph Hennon, porte-parole de la Commission européenne pour l’environnement, dans un email. « Et nous comptons sur la communauté scientifique pour jouer son rôle en informant les politiques publiques et les décideurs avec des faits et des chiffres. » Avant d’ajouter : « Les relations entre science et politique doivent être basées sur la confiance. Et nous faisons confiance aux scientifiques pour agir de manière indépendante pour le bénéfice de tous. »

 

Conflits d’intérêts : révélations sur des scientifiques liés à l’industrie

Par Stéphane Horel
Article publié par Environmental Health News, 23 septembre 2013

Dix-sept des 18 scientifiques à l’origine d’un éditorial hostile au projet de réglementation européenne des perturbateurs endocriniens ont des liens passés ou actuels avec l’industrie.

Bas BlaauboerBas Blaauboer, rédacteur pour l’Europe, Toxicology in vitro ; professeur de toxicologie, Université d’Utrecht (Pays-Bas)
Bénéficaire d’un financement de recherche de 399.676 € du Conseil européen de l’industrie chimique (CEFIC) entre avril 2008 et mars 2010. Membre de Risk 21, un projet sur évaluation des risques du Health and Environmental Science Institute (HESI), qui appartient à International Life Sciences Institute (ILSI), une organisation financée par les industriels des secteurs agroalimentaire, agricole, chimique, pharmaceutique et des biotechnologies.

Abby CollierAbby C. Collier, chef de rubrique, Chemico-Biological Interactions ; professeur adjoint, John A. Burns School of Medicine, Université d’Hawaii (États-Unis)
Auteur d’une étude en partie subventionnée par le « Human Drug Conjugation Consortium » (AstraZeneca, Boehringer Ingelheim, GlaxoSmithKline, F. Hoffman-La Roche, Lilly, Novartis, Pfizer et Wyeth-Ayerst) en 2012. Son laboratoire est en partie financé par des fondations privées.

 

Wolfgang DekantWolfgang Dekant, rédacteur en chef, Toxicology Letters ; professeur de toxicologie à l’Université de Würzburg (Allemagne)
Financement de l’American Chemistry Council pour une étude sur le bisphénol A en 2008. 18 contrats de consultant avec des sociétés privées entre 2007 et 2012. Membre du conseil scientifique du Research Institute for Fragrance Material, une organisation de l’industrie du parfum, des détergents et des cosmétiques. Ancien membre d’un groupe consultatif pour l’Association allemande de l’industrie automobile. Financements de recherche de Honeywell depuis 2006 (source pour ces collaborations). Co-auteur d’une étude financée en 2013 par la Tetrahydrofuran Task Force, un consortium de fabricants américains de tétrahydrofurane, le Conseil européen de l’industrie chimique (CEFIC) et le Toxicology Forum. Collaboration avec l’organisation de lobbying International Life Sciences Institute (ILSI) en 2005.

Daniel DiterichDaniel R. Dietrich, rédacteur en chef, Chemico-Biological Interactions ; directeur du groupe de recherche en toxicologie environnementale à l’Université de Constance (Allemagne)
Ancien conseiller pour le Centre européen d’écotoxicologie et de toxicologie des produits chimiques (ECETOC), financé par des industriels de la chimie, des pesticides et du pétrole. Co-auteur d’études avec des employés de Dow Europe et AstraZeneca, et Bayer Healthcare.

Nigel Gooderham

Nigel Gooderham, rédacteur en chef, Toxicology Research ; professeur de toxicologie moléculaire, Imperial College London (Grande-Bretagne)
Membre du groupe d’experts de la Flavor and Extract Manufacturers Association (FEMA), l’association américaine de l’industrie des arômes. Financements de recherche de GlaxoSmithKline et du fabricant de pesticide Syngenta. Collaboration avec Nestlé (source pour ces collaborations). Ancien consultant pour Procter & Gamble et actionnaire de Banco Santander et Hargreaves Lansdown. Co-auteur d’études avec des employés de GlaxoSmithKline, AstraZeneca et Syngenta.

Gio GoriGio Batta Gori, rédacteur en chef, Regulatory Toxicology and Pharmacology (États-Unis)
Consultant de l’industrie du tabac de 1980 à 1999 avec des revenus de plusieurs millions de dollars.  La société savante International Society of Regulatory Toxicology & Pharmacology (ISRTP), propriétaire de la revue Regulatory Toxicology and Pharmacology, a été financée par l’American Chemistry Council, Dow AgroSciences, Coca-Cola, Monsanto ou The Weinberg Group.

Alan Harvey

 

Alan L. Harvey, rédacteur en chef de Toxicon ; professeur de pharmacologie, Strathclyde Institute of Pharmacy and Biomedical Sciences (Grande-Bretagne)
Son groupe de recherche au sein du Strathclyde Institute of Pharmacy and Biomedical Sciences dit avoir « des liens actifs » avec Pfizer, Allergan, Schering Plough, Johnston Matthey, GlaxoSmithKline et AstraZeneca.

 

A Wallace HayesA. Wallace Hayes, rédacteur pour les Amériques, Human and Experimental Toxicology ; rédacteur en chef, Food and Chemical Toxicology ; conseiller scientifique principal chez  Spherix Consulting (États-Unis)
Ancien employé de Rohm and Haas Company, aujourd’hui une filiale de Dow Chemicals, de 1980 à 1984, et du géant du tabac R.J. Reynolds de 1984 à 1991 ; ancien vice-président pour « l’intégrité des produits » chez Gillette Company (source); ancien directeur et responsable de la sécurité des produits chez Gradient Corp. Conseiller scientifique principal chez Spherix Consulting.

Jan HengstlerJan Hengstler, rédacteur en chef, Archives of Toxicology ; directeur du Centre de recherche Leibniz sur l’environnement de travail et les facteurs humains (IFADO) à l’Université technique de Dortmund (Allemagne)
Auteur d’une analyse de la littérature scientifique sur le bisphénol A, publiée en 2011, qui concluait : « l’exposition ne représente aucun risque notable pour la santé de la population humaine, y compris les nouveaux-nés et les bébés ». Parmi ses co-auteurs figuraient un employé de Bayer Schering Pharma, une division de Bayer AG, le premier producteur de bisphénol A, deux consultants, et Wolfgang Völkel, auteur d’une autre analyse sur le bisphénol A menée en 2008 pour le compte de l’American Chemistry Council avec Wolfgang Dekant (voir ci-dessus).

James KehrerJames P. Kehrer, rédacteur en chef, Toxicology Letters ; professeur et doyen de la faculté de pharmacie et des sciences pharmaceutiques, Université de l’Alberta (Canada)
A reçu 22.500 $ du géant du tabac R.J. Reynolds en 1997, selon son curriculum vitae. Doyen de la faculté de pharmacie et des sciences pharmaceutiques à l’Université de l’Alberta, qui a reçu un don de 7 millions de dollars du Groupe Katz en 2007, assorti de 5,5 millions de dollars de firmes pharmaceutiques.

Florian Lang

 

Florian Lang, rédacteur en chef, Toxins ; directeur du département de physiologie, Université de Tübingen (Allemagne)
Co-inventeur de 17 brevets pour des substances déposées par le géant pharmaceutique Merck.

 

Albert LiAlbert Li, chef de rubrique, Chemico-Biological Interaction; PDG de In vitro ADMET Laboratories LLC, (États-Unis)
Ancien employé de Monsanto, 1982-1993. Co-fondateur, président et PDG de quatre sociétés de biotechnologie depuis 2004. Récompensé par le Monsanto Achievement Award (1985), le Monsanto Searle Research Alert Award (1992), et le Recognition Award de Ciba Pharmaceuticals Preclinical Safety (1995) (Source).

 

Hans Marquardt, rédacteur en chef, Toxicology ; département de Toxicologie (retraité), École de médecine de l’Université de Hambourg (Allemagne)
Membre du conseil scientifique du « Programme de recherche externe », du géant du tabac Philip Morris en 2001, 2002, 2003, 2004, 2005, 2006 et 2007. Rémunéré 51.076 $ pour son travail en 2002-2003.

Frans NijkampFrans P. Nijkamp, rédacteur en chef, European Journal of Pharmacology ; ancien directeur du département de pharmacologie et de physiopathologie, Université d’Utrecht (Pays-Bas)
PDG de CURAX BV, une Contract research organization (CRO) affiliée à l’organisation de lobbying ILSI Europe, et fournissant ses services pour « tester de nouvelles entités chimiques pour l’industrie pharmaceutique, ainsi que de nouveaux ingrédients pour l’industrie agroalimentaire ». Récompensé par un prix de 25.000 € d’AzkoNobel en 2006.

Olavi-PelkonenOlavi Pelkonen, rédacteur en chef, Frontiers in Predictive Toxicology ; professeur de pharmacologie (émérite) et ancien directeur du département de pharmacologie et de toxicologie de l’Université de Oulu (Finlande)
Classé « Niveau de risque 3 » par l’Agence européenne des médicaments pour ses « intérêts directs avec l’industrie pharmaceutiques », comme ses activités de consultant pour Pfizer, Orion Pharma, UCB Pharma ou Xemet.

Kai SavolainenKai Savolainen, rédacteur pour l’Europe et le reste du monde, Human and Experimental Toxicology, directeur du Nanosafety Research Centre, Institut finlandais de la santé au travail (Finlande)
Impliqué dans des projets de recherche européens comprenant des partenaires privés et des financements privés partiels, comme NANOREG (BASF, Arkema France, Bayer MaterialScience AG), NANODEVICE, NANOKEM, NANOSUSTAIN et NANEX. Son employeur (Institut finlandais de la santé au travail) est un membre affilié de la Nanotechnology Industries Association (Association des industries des nanotechnologies).

 

Kerstin StemmerKerstin Stemmer, rédactrice en chef adjointe, Toxicology in Vitro ; directrice du département Métabolisme et cancer à l’Institut pour le diabète et l’obésité, Helmholtz Centre, Münich (Allemagne)
Thèse de doctorat en collaboration avec Bayer-Schering AG. Co-auteur d’études avec des employés de Bayer HealthCare AG, et Eli Lilly and Co. et Hoffmann-La Roche avec des fonds de recherche de Marcadia Biotech et Roche Pharmaceuticals. Récompensée par le Junior Investigator Award de Nycomed en 2010.

Sonja von Aulock

Sonja von Aulock, rédactrice en chef, ALTEX ; scientifique, département de pharmacologie biochimique, Université de Constance (Allemagne)
Pas de liens connus avec l’industrie.

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Adapté pour la version française par Stéphane Horel.

Stéphane Horel, basée à Paris, est une journaliste indépendante et documentariste qui enquête sur les conflits d’intérêts et l’influence autour de questions de santé publique. Elle travaille sur un documentaire sur la réglementation des perturbateurs endocriniens en Europe.
Brian Bienkowski est rédacteur en chef et journaliste à Environmental Health News.

Envoyez vos questions ou commentaires à la rédactrice en chef de Environmental Health News, Marla Cone – mcone@ehn.org

Environmental Health News (EHN) est un service d’information financé par des fondations et basé aux États-Unis. EHN publie ses propres articles et offre un accès quotidien aux informations environnementales du monde entier.

Liens vers les articles originaux en anglais :
http://www.environmentalhealthnews.org/ehs/news/2013/eu-conflict
http://www.environmentalhealthnews.org/ehs/news/2013/eu-conflict-list

Interview – Les perturbateurs endocriniens, objets de tous les lobbies

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Article de Marine Jobert publié par le Journal de l’Environnement, 23 septembre 2013

Il n’est pas si courant de pouvoir observer en temps réel les manœuvres de lobbying de l’industrie pour influencer l’élaboration d’une politique publique périlleuse pour ses intérêts. La publication, par la Commission européenne, de la définition et des critères concernant les perturbateurs endocriniens (PE) est un cas d’école, car elle aura des conséquences économiques d’importance dans les domaines de la chimie, des pesticides, des biocides, mais aussi des cosmétiques ou de l’eau. La DG Environnement, qui devait se prononcer en décembre prochain, envisage maintenant de lancer une procédure d’évaluation d’impact (économique), qui repoussera de 6 à 8 mois la prise de définition. Il s’agissait d’une des revendications de l’industrie.

C’est dans ce contexte très délicat que 18 scientifiques ont publié cet été un même éditorial dans 14 revues scientifiques. Leur objectif: décrédibiliser la position scientifique de la DG environnement, basée sur le principe de précaution. En réponse, 41 scientifiques ont publié un texte critiquant ces auteurs et leurs positions peu ou mal étayées. En apparence technique, cette controverse donne l’occasion de voir à l’œuvre une opération de lobbying d’une part, mais aussi les liens parfois troubles que la science peut entretenir avec le secteur privé. Car, comme le démontre la journaliste Stéphane Horel aux termes d’une enquête fouillée sur les conflits d’intérêts, la quasi-totalité des cosignataires du premier éditorial nourrissent des liens forts avec les industries dont leur texte défend les intérêts. Son enquête vient de paraître dans Environmental Health News[1].

– JDLE: Tout part d’une «fuite» d’une recommandation rédigée par la DG Environnement sur la définition des critères des PE… Que contient ce document? A qui profite le crime?

Stéphane Horel – Cette recommandation qui a «fuité» n’a pas révélé les intentions de la DG Environnement, car tout le travail antérieur (rapport Kortemkamp, groupe ad hoc, groupe experts à la DG et leur rapport JRC) témoignait de la direction dans laquelle travaille la DG. A savoir que l’évaluation sanitaire des PE ne serait plus basée sur une évaluation a posteriori du danger de la substance –comme c’est le cas aujourd’hui pour tout produit- mais sur une évaluation a priori. C’est le Parlement européen qui a introduit ces «critères guillotines» dans les réglementations consacrées aux pesticides et aux biocides, votées en 2009 et 2012. Désormais, on évaluera les dangers auxquels peuvent être soumis les gens avant de les exposer.

JDLE – Combien de produits pourraient-ils être concernés par cette nouvelle réglementation?

Stéphane Horel – L’industrie donne des chiffres un peu exagérés pour faire peur, comme lors des discussions autour de la réglementation Reach[2]. Dans l’une de ses évaluations des impacts économiques de la réglementation, l’industrie avance que 20% des substances seraient bannies du marché européen. Des conséquences accrues par le fait que cela toucherait des pesticides parmi les plus vendus.

JDLE- Or derrière l’enjeu économique se cache un enjeu scientifique crucial quand il s’agit des PE: c’est la question des seuils en deçà desquels ou à partir desquels les PE ont, ou n’ont pas, des effets sur la santé.

Stéphane Horel – Effectivement. Pour essayer de faire simple dans une architecture très compliquée, il faut savoir que dans la logique de Reach, on se demande d’abord: les PE sont-ils des substances hautement préoccupantes? Si c’est le cas, soit on considère qu’on peut maîtriser l’exposition des gens, c’est l’«usage contrôlé», un terme un peu marqué à cause de l’histoire de l’amiante, et alors le produit reste sur le marché. Soit on ne peut pas en maîtriser les risques. Une évaluation socio-économique est alors menée, au cours de laquelle les fabricants devront démontrer que les bénéfices apportés par le produit l’emportent sur les risques pour la santé et qu’il n’existe pas de substitut. Le critère déterminant pour ces deux approches, c’est de savoir si on peut déterminer un seuil en deçà duquel il n’y aura pas d’effet sanitaire. Or justement, les PE ne connaissent pas les seuils, ils sont actifs, et parfois même plus actifs, à faible dose. Il y a donc là un enjeu économique, mais aussi scientifique, car certains toxicologues peinent à remettre en cause le concept -qui fonde toute leur discipline depuis des siècles- selon lequel la dose fait le poison.

JDLE – Pour en revenir à la controverse scientifique, quels sont les profils de carrière des signataires du premier éditorial, qui tente de décrédibiliser le rapport préliminaire qui a «fuité»?

Stéphane Horel – D’abord, il faut bien avoir à l’esprit que c’est du jamais vu, de la part de scientifiques, d’attaquer de la sorte une intention politique. C’est en tant que rédacteurs en chef (ou adjoints) de revues scientifiques qu’ils vont publier simultanément le même texte dans leurs 14 revues. Leurs attaques sont toutefois assez floues: ils n’explicitent pas les enjeux, ils ne citent pas les documents visés. C’est un texte très court -une page et demi- alors qu’ils s’en prennent tout de même à trois ans de travail. En outre, leurs critiques ne sont pas sourcées, et il y a peu de références scientifiques à l’appui de leurs critiques. «L’aspect le plus préoccupant de cet éditorial, c’est qu’il brouille la barrière entre ce qui relève de la science et ce qui dépend de choix politiques, sociétaux et démocratiques», estiment les auteurs du «contre-édito».

Maintenant, décrivons plus précisément leur pedigree… … Sur les 18 signataires, j’ai mis en évidence que 17 d’entre eux entretiennent ou ont entretenu des liens avec différentes industries. Pour la plupart, ce sont des gens qui ont déjà fait carrière, et qui sont à la tête de services ou de départements. Huit d’entre eux sont des professeurs de toxicologie. Mais quasiment aucun n’a travaillé sur les PE, ce qui soulève la question de l’étendue de leurs connaissances dans ce domaine relativement neuf et donc de leurs compétences. Nigel Gooderham, rédacteur en chef de Toxicology Research journal et professeur de toxicologie moléculaire à l’Imperial College London, m’a expliqué qu’en signant cet éditorial «il n’avait rien à gagner. C’était purement basé sur [sa] réflexion scientifique et [son] analyse».

Mais il y aussi des gens au profil curieux, comme Gio Batta Gori: c’est presque une célébrité, pour moi qui travaille sur les réseaux d’influence et les stratégies de l’industrie. En effet, c’est un ancien consultant de l’industrie du tabac, du début des années 1980 à la fin des années 1990, comme les «tobacco documents» le révèlent. La revue qu’il dirige est une revue dite «capturée» par l’industrie, puisqu’elle appartient à une société savante qui ne révèle pas ses sponsors. Mais une plongée dans les archives démontre qu’il s’agit de Philip Morris, Coca Cola, Monsanto et d’autres.

JDLE – A cet éditorial était jointe une lettre adressée à Anne Glover, la conseillère scientifique en chef du président de la Commission, José Manuel Barosso. Que dit cette lettre?

Stéphane Horel – A peu près la même chose que l’éditorial, en s’adressant en plus à Anne Glover pour intervenir dans le débat et le processus officiel, notamment en lui demandant de faire intervenir les trois comités scientifiques[3] de la Commission. S’adresser à elle, c’est un geste éminemment politique. En creux, c’est une attaque contre une décision votée par le peuple, à savoir cette approche de précaution.

Qui sont-ils? Sur les 71 signataires, j’ai mis à jour sur 40 d’entre eux des liens documentés avec le secteur privé. Sans compter qu’une partie ne travaillent pas sur les PE. Ce qui est très choquant, c’est qu’autant les signataires du premier éditorial se réclamaient de leur seul titre de rédacteurs en chef, autant parmi les 71 scientifiques qui ont co-signé la lettre à Anne Glover, 15 mettent la nature de leurs fonctions en avant, mais aussi les positions qu’ils peuvent ou ont pu occuper dans différentes instances européennes! C’est notamment le cas pour deux d’entre eux, qui ont collaboré au groupe de travail PE monté par l’Efsa en octobre 2012 et qui a rendu son opinion en mars 2013. On se demande donc à quel titre ils s’expriment. Il n’y a pas de code de conduite sur le sujet à l’Efsa, mais cela pose question.

Cerise sur le gâteau, le lobby des pesticides a soutenu publiquement cette lettre ouverte. L’un des signataires m’a dit qu’il n’est pas responsable de qui soutient ou pas leurs positions. Mais je trouve intéressant de constater que la position prise par ces scientifiques est soutenue par l’industrie.

JDLE – La riposte a été immédiate. Quel est le profil des signataires de la réponse à l’éditorial?

Stéphane Horel – Sur les 41 signataires de ce texte, 14 ont participé au rapport de l’OMS/Pnue. Ce sont des gens qui savent de quoi ils parlent. Ils ont par ailleurs eu l’élégance de déclarer leurs conflits d’intérêts avec le secteur privé –ils n’en ont aucun- comme c’est la norme en ce domaine. Ce à quoi Daniel Dietrich, l’auteur principal du premier éditorial, considère qu’il n’y avait pas matière à publier quoi que ce soit sur d’éventuels conflits d’intérêts, puisque les scientifiques s’exprimaient dans le cadre d’un éditorial, et non d’un article scientifique qui aurait pu avoir de l’influence sur l’un ou l’autre produit chimique. Cela témoigne a minima d’une compréhension extrêmement étroite de ce que c’est que de publier ses conflits d’intérêts…

JDLE – Vous êtes une journaliste spécialisée dans la mise au jour de ces conflits d’intérêts entre scientifiques et industrie. Est-ce si courant et pourquoi est-ce si important?

Stéphane Horel – Grâce au Mediator, le grand public en France a compris que cette question n’était pas une question purement théorique ou intellectuelle, mais qu’elle avait des conséquences sur la santé des gens. Les questions de controverses –ou de pseudo controverses- scientifiques ne peuvent plus se dérouler sans que l’on se demande: mais d’où parlent les gens qui s’expriment? Le fait est qu’on est aujourd’hui dans une situation de conflits d’intérêts généralisée, notamment parce que c’est une des stratégies avérées de l’industrie de créer des liens avec les experts. Ce n’est pas un état naturel, mais la conséquence d’une stratégie. Et le principal responsable de cette situation, ce sont les pouvoirs publics. L’industrie, finalement, ne fait que son travail, et les pouvoirs publics sont censés mettre des garde-fous pour que l’expertise publique soit faite dans l’intérêt des gens et leur santé. Nanotechnologies, radiofréquences, OGM, médicaments…. Toutes ces questions ont besoin d’une expertise publique indépendante des intérêts privés.

Il faut savoir que l’un des plus gros financeurs de la recherche en Europe, c’est la Commission européenne. Or certaines des conditions mises par l’UE, c’est que les chercheurs bénéficient de partenaires ou de financeurs privés. C’est parfois une condition sine qua non pour avoir de l’argent public. Donc, quoi qu’ils en disent, cela cadre forcément les questions qui vont faire l’objet de la recherche. Par ricochet, cela implique que de l’argent public bénéficie au secteur privé, ce qui n’est pas en soi condamnable. Mais la question politique qui est derrière, c’est que cela peut déboucher sur une amélioration de la productivité des profits d’une entreprise au mépris de standards sanitaires. Or c’est un problème réel.

© Le Journal de l’Environnement


[1] Stéphane Horel est journaliste indépendante spécialisée dans les conflits d’intérêts et les questions d’influence dans le domaine de la santé. Elle travaille actuellement à un documentaire télévisé consacré au processus européen de réglementation des perturbateurs endocriniens.

[2] Adoptée en 2006, elle consiste à enregistrer les produits chimiques auprès de l’UE, dont l’évaluation de la dangerosité se fait au fur et à mesure, en fonction de leur tonnage.

[3] Ces trois comités ont eu à rendre quelques avis spécifiques sur le dossier, mais ils ne font pas partie de la saisine générale, comme cela a pu être le cas pour l’agence européenne de sécurité alimentaire (Efsa).