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Bisphénol-A : l’Europe aux bois dormants



bib.1210070781.jpgPlus de bisphénol-A dans les biberons. Ainsi en ont décidé les autorités canadiennes, comme je le signalais sur ce blog à la mi-avril.

Dans Le Monde daté du mardi 6 mai 2008, le journaliste Jean-Yves Nau écrit qu’il a contacté l’Agence européenne de sécurité sanitaire des aliments (European Food Safety Agency – EFSA) suite à cette décision. Les responsables de l’EFSA lui ont annoncé qu’ils allaient réévaluer les risques sanitaires des plastiques alimentaires.

L’Europe sortirait-elle enfin d’un long sommeil ? Alors que la controverse dure depuis plus de deux ans en Amérique du Nord, on peut d’ores et déjà douter de la vigueur de l’EFSA sur la question du bisphénol-A. En janvier 2007, l’EFSA avait révisé la dose journalière admissible (DJA) de bisphénol-A dans les matériaux au contact des aliments. Considérant que “les effets à faible dose du bisphénol-A sur les rongeurs n’ont pas été démontré de façon solide et reproductible”, elle avait augmenté cette DJA, qui passait de 10µg par kilogramme de poids corporel par jour à 50µg… C’était il y a seulement un peu plus d’un an. Et dès alors, les autorités européennes disposaient pourtant de données scientifiques inquiétantes, la première étude montrant que le bisphénol-A pouvait provoquer des tumeurs de la prostate chez le rat étant daté de 1997 (1). Voir l’avis et le communiqué de presse de l’EFSA de janvier 2007.

Aux États-Unis, des membres du Congrès se sont saisis de l’affaire. Jusqu’alors, les questions concernant le bisphénol-A étaient laissées à la seule appréciation du Centre pour l’évaluation des risques pour la reproduction humaine (CERHR) et du National Toxicology Program. Suite aux conclusions inquiétantes de ce dernier, en avril 2008, des élus démocrates ont demandé à la Food and Drug Administration (FDA, qui est à la fois l’agence de contrôle des aliments et des médicaments) de réévaluer les niveaux d’exposition pour la population. Voir le communiqué de presse du Congrès. Pour en savoir plus sur les investigations des membres du Congrès, cliquer ici.

St.H.

(1) Nagel, S.C., vom Saal, F.S., Thayer, K.A., Dhar, M.G., Boechler, M., and Welshons, W.V. 1997. Relative binding affinity-serum modified access assay predicts the relative in vivo bioactivity of the xenoestrogens bisphenol A and octylphenol. Environmental Health Perspectives 105(1): 70-76.

[06 mai 2008]

Le bisphénol-A bientôt interdit dans les biberons canadiens

Sur le front du bisphénol-A (BPA), il se passe beaucoup de choses de l’autre côté de l’Atlantique, mais toujours rien ici.

La semaine dernière, pour la première fois, le National Toxicology Program, qui fait partie des National Institutes of Health (USA), a publié un rapport qui reconnaît un lien entre l’exposition au bisphénol-A et le cancer du sein, le cancer de la prostate, la puberté précoce chez les filles et des troubles du comportement comme l’hyperactivité. Le bisphénol-A représente – selon le terme exact que les rapporteurs emploient – “some concern” (que l’on pourrait traduire par “un sujet d’inquiétude”).

Quelques jours plus tard, le ministre canadien de la Santé, Tony Clement, annonce que la Canada devrait être le premier pays au monde à classer le bisphénol-A comme substance toxique et à interdire son utilisation dans le polycarbonate des biberons pour enfants.

Vous trouverez ci-dessous le communiqué officiel du ministère canadien de la Santé, ainsi que deux articles de la presse nord-américaine (En anglais. Sorry)

Communiqué 2008-59
Le 18 avril 2008

Pour diffusion immédiate

Le gouvernement du Canada prend des mesures à l’égard d’un autre produit chimique préoccupant : le bisphénol A

OTTAWA – L’honorable Tony Clement, ministre de la Santé, et l’honorable John Baird, ministre de l’environnement, ont annoncé aujourd’hui que le gouvernement prend des mesures pour protéger la santé des Canadiens et l’environnement d’un autre produit chimique préoccupant.

Le Canada est le premier pays au monde à effectuer une évaluation du bisphénol A en collaboration avec l’industrie et d’autres intervenants, et à tenir une consultation publique de 60 jours pour déterminer s’il faut interdire l’importation, la vente et la publicité des biberons de polycarbonate qui contiennent du bisphénol A.

La période de consultation commencera le 19 avril  2008, une fois que le gouvernement aura publié un avis sommaire des conclusions de son évaluation dans la Gazette du Canada, partie 1.

« Le Canada est le premier pays au monde à évaluer les risques présentés par certains produits chimiques préoccupants, après que le premier ministre a annoncé une nouvelle initiative intitulée Plan de gestion des produits chimiques, le 8 décembre 2006, a déclaré le ministre Clement. Nous nous sommes empressés de prendre des mesures à l’égard du bisphénol A, parce que nous croyons que c’est notre devoir d’assurer que les Canadiens et notre environnement ne sont pas exposés à un produit chimique potentiellement nocif. »

Bien que l’évaluation préliminaire du bisphénol A de Santé Canada portait principalement sur son incidence sur les nouveau-nés et les nourrissons âgés d’au plus 18 mois, l’évaluation a tenu compte des risques pour la santé des Canadiens de tous les âges.

Des études ont déterminé que la principale source d’exposition des nouveau-nés et des nourrissons se produit lorsque le biberon de polycarbonate est exposé à une température élevée, et lorsque le bisphénol A, imprégné dans le revêtement des boîtes de préparation pour nourrissons, migre dans la préparation liquide.

Les scientifiques ont conclu dans leur évaluation que l’exposition des nouveau-nés et des nourrissons au bisphénol A est inférieure aux niveaux générateurs d’effets sur la santé. Cependant, l’écart entre cette exposition et l’effet sur la santé n’est pas assez grand.

En guise de précaution, le gouvernement du Canada propose de réduire l’exposition au bisphénol A chez les nouveau-nés et les nourrissons grâce aux mesures suivantes : interdire les biberons de polycarbonate; fixer des cibles de migration rigoureuses pour le bisphénol A dans les boîtes de préparation pour nourrissons et les autres conserves d’aliments; travailler avec l’industrie afin de mettre au point d’autres moyens d’emballer les aliments et élaborer un code de pratique; inscrire le bisphénol A dans l’annexe 1 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement.

Les scientifique d’Environnement Canada ont également constaté que le bisphénol A peut être nocif au fil du temps pour les poissons et les organismes exposés à de faibles concentrations du produit. Des études indiquent que ce produit peut être décelé dans les usines de traitement des eaux usées et des boues résiduaires.

« Lorsqu’il est question de l’environnement du Canada, la sécurité n’a pas de prix », a fait valoir le ministre Baird. Nous avons découvert que le bisphénol A avait des effets non seulement sur la santé, mais aussi sur l’environnement. Notre gouvernement ira donc de l’avant et travaillera avec les provinces et les intervenants afin d’éviter le rejet de bisphénol A dans l’environnement et de prendre les mesures nécessaires à l’utilisation et à l’élimination sécuritaires de ce produit. »

[21 avril 2008]

Interview dans Le Télégramme

À l’occasion d’une séance de dédicace dans une librairie de Lorient (Morbihan), un article sur La grande invasion.

Le télégramme

Vie quotidienne – L’invasion des produits chimiques
Explosion du nombre de cancers, chute alarmante de la fertilité… Et si les conséquences de la « Grande invasion » des produits chimiques se faisaient déjà sentir ? Stéphane Horel, journaliste indépendante, a mené l’enquête.

« La grande invasion » dont vous parlez dans votre livre a-t-elle déjà eu lieu ?

Oui. Dans votre maison, dans votre salon, dans les cosmétiques, dans les produits détergents, mais aussi dans les jouets, les peintures… Des milliers de produits chimiques partagent notre quotidien. Dans votre canapé, vous avez peut-être des retardateurs de flammes bromés qui sont ajoutés aux textiles pour leurs propriétés ignifuges. On sait que ces retardateurs dégagent des molécules qui se diffusent dans le corps humain. Il existe 100.000 produits chimiques sur le marché. Sur ce nombre, seulement 1 % a été testé pour sa nocivité.

Vous mettez en parallèle l’augmentation du nombre de maladies et l’omniprésence de produits chimiques dans notre environnement…

Les données recueillies lors de cette enquête amènent à un constat assez angoissant. En France, le nombre des cancers a augmenté de 63 % en vingt ans et la fertilité des hommes a baissé de 50 % depuis la Seconde Guerre mondiale. La communauté scientifique est divisée pour lier – en dehors du cas amiante – ces chiffres à l’utilisation des produits chimiques. Mais cette pollution est partout : dans l’air, dans la poussière, dans nos graisses… Et elle se transmet aussi à l’enfant dans le ventre de sa mère, qui n’est pas protégé par la « barrière placentaire ». Grâce aux biopsies pratiquées, on sait que certains cancers se développent dès le foetus. Le cancer des testicules, première cause de cancer chez les hommes [de 25 à 45 ans], fait partie de ceux-là.

Comment agissent exactement ces poisons invisibles ?

Ils peuvent modifier notre système hormonal, bloquer la testostérone ou agir sur les oestrogènes. Certains produits, comme les phtalates, utilisés pour rendre le plastique souple, ne s’éliminent pas parce qu’ils sont présents en permanence dans notre environnement. Cette réalité semble pourtant encore ignorée… Bizarrement, les scientifiques sont inquiets mais la prise de conscience n’est pas encore à l’ordre du jour. Le lobby de l’industrie maintient un niveau de controverse autour de la toxicité avérée de ces produits.

Quels choix nous reste-t-il ? Habiter des cavernes et se vêtir de peaux de bêtes ?

Non, bien sûr. On peut faire quelques petites choses comme supprimer les détergents, utiliser des produits écologiques ou du vinaigre blanc qui est un excellent désinfectant. Les cosmétiques et les shampoings peuvent être remplacés par des produits bio… Mais c’est aussi un problème économique. Les gens les plus défavorisés sont également les plus touchés par cette pollution.

Gwen Rastoll

[12 février 2008]

Sale temps pour les biberons

Le glas sonne pour les biberons en plastique. Le 7 février 2008, un regroupement d’organisations environnementales américaines publiait un rapport qui montre très clairement qu’une substance toxique – le bisphénol-A – libérée par le plastique, contamine le lait et pollue les bébés.

Rapport BiberonsLes analyses scientifiques ont été réalisées par l’Université du Missouri, où travaille l’un des plus grands spécialistes mondiaux du bisphénol-A, le Pr Frederick vom Saal. Elles montrent que, lorsqu’ils sont chauffés, les biberons des marques Avent, Evenflo, Dr Brown’s et Disney/Premières années dégagent entre 4,7 et 8,3 parties par million* de bisphénol-A dans le lait infantile. (Télécharger le rapport)

Le problème du bisphénol-A, c’est qu’il imite les œstrogènes, les hormones sexuelles féminines. Il est donc capable de perturber le système hormonal du corps humain. Une propriété qu’il a en commun avec plusieurs centaines de polluants présents dans les produits de consommation courante et appelés perturbateurs endocriniens. Sur les rats et souris de laboratoire, le bisphénol-A provoque un grand nombre d’effets très déplaisants : tumeurs des glandes mammaires, cancers de la prostate, puberté précoce, fausses couches, anomalies des spermatozoïdes, diabète de type 2, altérations du système immunitaire, troubles du comportement, aberrations chromosomiques. Tout un programme qu’on préférerait épargner à ses enfants.

Les industriels du plastique soutiennent que les doses de bisphénol-A auxquelles sont exposées la population sont insuffisantes pour provoquer un quelconque effet nocif. Selon eux, la dangerosité potentielle du bisphénol-A serait un “mythe“. Pourtant, plus de 150 études scientifiques montrent des effets nocifs à de très faibles doses. Et même, à des doses inférieures à celles trouvées dans les biberons ou dans les urines de la population. Antonia Calafat, chercheuse aux Centers for Disease Control and Prevention américains, a dirigé la dernière étude sur l’exposition de la population au bisphénol-A, publiée le mois dernier dans la revue Environmental health perspectives. Son équipe a testé 2.517 personnes aux États-Unis. 92,6% d’entre elles avaient du bisphénol-A dans les urines. Ce sont les enfants et les femmes qui présentaient les plus fortes concentrations.

Le bisphénol-A sert à fabriquer une foultitude d’objets. On en trouve dans les amalgames dentaires, les CD, les bouteilles d’eau ou encore dans les récipients en plastique pour la conservation des aliments et le réchauffage au micro-ondes. Il sert aussi dans les résines époxy, ces vernis qui recouvrent l’intérieur des canettes de boisson et des boîtes de conserve, notamment pour le lait infantile en poudre.

Si certaines des marques de biberons testés dans ce rapport ne sont vendues qu’aux États-Unis, ce n’est pas le cas d’Avent, marque très populaire chez les jeunes parents français. Et, quoi qu’il en soit, les biberons sont généralement fait de plastique polycarbonate, qui contient du bisphénol-A : 95% d’entre eux selon la coalition environnementale auteur du rapport. Formé pour l’occasion, le Work group for safe markets réunit 15 associations environnementales sans but lucratif, parmi lesquelles le Center for Health, Environment and Justice ou encore le Breast Cancer fund. La coalition réclame des mesures immédiates et demande aux fabricants d’utiliser des plastiques plus sûrs pour les biberons.

Ce n’est pas la première fois que les biberons sont mis en cause. Il y a tout juste un an, l’organisation américaine Environment California parvenait aux mêmes conclusions. Relayée par les médias, l’information avait provoqué un scandale dans tout le pays. Une class-action avait été initiée contre les cinq principaux fabricants de biberons américains : Avent, Dr Brown’s, Evenflo, Gerber et Playtex. Une ruée des parents sur les biberons en verre avait mené à une rupture de stock dans tout l’État de Californie.

*Soit : sur un million de particules dans un volume donné, entre 4,7 et 8,3 sont des particules de bisphénol-A.

Sources : Calafat AM et al. Exposure of the U.S. population to bisphenol A and 4-tertiary-octylphenol : 2003-2004. Center for Health, Environment and Justice. Stiffler L. Health risk from popular plastic baby bottles, Seattle Post-Intelligencer (7.02.2008).

Quelques conseils pratiques :

– Préférer les biberons en verre ou les biberons en polyéthylène ou polypropylène (Chiffres 1 et 2 dans le symbole des triangles de recyclage). Le polycarbonate, qui contient du bisphénol-A, est identifié par le chiffre 7. Des tests réalisés par le magazine Parents permettent d’identifier le plastique de certaines marques de biberons commercialisées en France. Sont en polyéthylène, les biberons de la marque Medela et le biberon Initiation de Dodie.

– Ne pas réchauffer de la nourriture ou des boissons dans des récipients en plastique, en particulier au micro-ondes.

– Éviter les conserves et les canettes.

– Plus le plastique est usé et abîmé, plus il libère de bisphénol-A. Se débarasser de son vieux polycarbonate.

Pour en savoir plus

Comme toujours, peu d’informations sont disponibles en français sur le bisphénol-A. Le 6e chapitre de La grande invasion – Le plastique, c’est pas fantastique – est entièrement consacré à la question du bisphénol-A. Le dernier chapitre du livre parle plus spécifiquement du problème des biberons.

St.H.

[08 février 2008]

La chimie que l’on respire (Le Monde)

Une critique de La grande invasion dans Le Monde daté de vendredi 8 février, signée Gaëlle Dupont.

Une fois n’est pas coutume. On peut très bien commencer le livre de Stéphane Horel par la fin. L’auteure donne le dernier mot de son ouvrage consacré à la pollution chimique aux scientifiques qu’elle a interrogés. Chacun donne ses recettes pour réduire au maximum son exposition. L’un “aère en grand au moins une demi-heure par jour”, l’autre mange bio “aussi souvent que possible”, un troisième “ne met jamais de récipients en plastique au micro-ondes”, un quatrième a remplacé son déodorant par de l’eau et du savon, un cinquième fait son ménage au vinaigre blanc…

Ces quelques phrases rappellent une réalité encore ignorée : les produits chimiques sont partout autour de nous. “Nous les respirons, les mangeons, les touchons. A notre insu, des dizaines de milliers de substances chimiques partagent notre vie quotidienne, nichées dans la nourriture et l’eau, incrustées dans les détergents, les plastiques ou les tissus, invisibles et partout à la fois”, détaille l’auteure. Ils sont aussi en nous, dans nos corps. Et nous ne savons que bien peu de chose de leurs conséquences sur la santé des hommes et de l’environnement. “Bien évidemment, les substances chimiques ont amélioré nos existences, prévient Stéphane Horel. Il ne s’agit pas de revivre en peaux de bêtes (…). Mais si certaines d’entre elles peuvent nuire à notre santé, nous ne pourrons pas éviter le débat.”

Journaliste indépendante, l’auteure n’écrit ni en militante ni en scientifique. Elle joue les intermédiaires, rendant accessibles des connaissances éparpillées, introuvables, et – quand elles sont disponibles – difficiles à lire, car leur technicité les rend incompréhensibles à l’état brut. Sur la piste des alkylphénols, phtalates, parabens et autres perméthrines, elle a décrypté des centaines d’études et de documents officiels (cités en annexe) avec pour objectif de répondre en langage clair à deux questions : où sont ces produits ? Quels sont leurs effets connus ?

Pas facile d’obtenir des réponses. “Des messages que personne n’écoutera jamais sont laissés sur des boîtes vocales anonymes, des interlocuteurs partent en congés, visiblement pour toujours, on se défausse et se renvoie la balle à une lenteur tout à fait remarquable”, rapporte l’auteure.

Le livre n’assène pas de réponses péremptoires sur les conséquences de ces pollutions pour l’environnement et la santé, car ces réponses n’existent pas. Il est très difficile de mettre en évidence un lien entre une substance précise et une maladie : la santé d’une personne est conditionnée par de multiples facteurs (hérédité, comportements individuels comme le tabagisme, choix alimentaires, exposition à des pollutions multiples tout au long de la vie).

Mais des études scientifiques, qui sont autant de sonnettes d’alarme, justifient que l’on s’interroge davantage, selon Stéphane Horel. Ces travaux montrent des changements de sexe chez les poissons, l’augmentation des malformations de l’appareil génital des petits garçons, la baisse de la concentration de spermatozoïdes…

L’augmentation récente du nombre de cancers dans la population fait l’objet d’une controverse dans les milieux scientifiques : peut-on l’attribuer à la pollution ? “Moins de 50 % des cancers sont expliqués par des facteurs connus”, rappelle une chercheuse de l’Inserm, citée dans le livre. Une question centrale est posée. “Comment aborder intelligemment les causes du cancer dans un pays qui ne possède pas de registre national des cancers ?, interroge Stéphane Horel. Les statistiques françaises sont établies à partir de données ne couvrant que 14 % de la population, essentiellement en dehors des zones urbaines.” En tout état de cause, explique-t-elle, il n’est pas possible d’affirmer que ces produits n’ont aucun effet sur la population. Il est plus juste de dire qu’on ne les a pas cherchés.

LA GRANDE INVASION. ENQUÊTE SUR LES PRODUITS QUI INTOXIQUENT NOTRE VIE QUOTIDIENNE de Stéphane Horel. Ed. du Moment, 314 p., 19,95 €.

Gaëlle Dupont
Article paru dans l’édition du 08.02.08

La guerre contre le cancer : ce soir sur France 2



Cellule cancéreuseUne petite piqûre de rappel : le documentaire de Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade – La guerre contre le cancer – est diffusé ce soir à 23h05 dans le cadre de l’émission Infrarouge sur France 2.

Pour lire le résumé du film, la note d’introduction et une brève filmographie des documentaristes sur ce blog, cliquez ici.

Ci-dessous la très bonne critique de François Ekchajzer dans le Télérama du 2 février.

T2 La guerre contre le cancer. Documentaire de Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade (France, 2006). 75 mn. Inédit.

Quand, en 1971, le président Nixon déclare la guerre au cancer, il accorde cinq années aux chercheurs pour vaincre la maladie et faire oublier l’autre guerre qu’il est en train de perdre sur le sol vietnamien. La confiance dans la toute-puissance des sciences et des techniques est alors de mise ; l’humanité ne vient-elle pas de décrocher la Lune ? Pourtant, trente-sept ans et quelques milliards de dollars plus tard, les perspectives de paix sur le front des tumeurs demeurent tout aussi incertaines.
La Guerre contre le cancer, que France 5 a diffusée sous une autre forme en avril 2006, retrace l’histoire d’une recherche médicale prompte à communiquer ses avancées pour en tirer un discours plein d’espoir, sans parvenir à endiguer l’augmentation constante du nombre de malades. « Qui dit guerre dit propagande », relève ce documentaire parfaitement mené, qui pointe l’orientation problématique des politiques de prévention, concentrées sur les causes individuelles de l’épidémie (tabac, alcool, surexposition au soleil) et ignorantes de ses possibles causes environnementales. Aux pièges de la communication officielle et d’une banale approche compassionnelle, Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade ont préféré la rigueur de l’enquête. Passionnante de bout en bout, La Guerre contre le cancer pose les termes d’un débat qui, pour le coup, relève d’une indiscutable mission de service public.

François Ekchajzer, Télérama, Samedi 2 février 2008.

Le film sera rediffusé samedi 9 février à 4h35 (Un horaire impossible, même pour un insomniaque)

Photo : Cellule de cancer du sein, Université de Cambrige.

[07 février 2008]

Article sur Bakchich.info

Article publié mercredi 6 février 2008 sur le site d’informations bakchich.info.

Les sympathiques petits poisons de notre vie d’intérieur

Rester chez soi nuit à la santé. Phtalates, parabens, formol… autant de gentilles substances qui se sont installées chez vous sans même avoir été invitées.

La vie est parfois empoisonnante. Il n’y a pas besoin de lire des livres pour le savoir. Mais notre vie quotidienne est aussi empoisonnée par bien des objets qui nous entourent, des meubles aux cosmétiques, bourrés de produits chimiques que nous respirons sans réfléchir. Ce sujet-là, moins philosophique, plus concret, fournit la matière d’un livre très enquêté. « La grande invasion », d’une journaliste indépendante, Stéphane Horel. Méthodiquement, scientifiquement, elle passe en revue, études et témoignages à l’appui, tout ce qui nous intoxique lentement, mais sûrement. Et le bilan n’est pas très rose. On en apprend de belles : en gros, rester chez soi n’est pas très bon pour la santé. Les industriels ont profité de notre ignorance, voire des failles de la réglementation, pour nous faire respirer plein de molécules bizarres. « L’Europe a autorisé sur son marché plus de 100 000 substances sans jamais les avoir testées. Ou presque. En termes de quantités, seulement 1% d’entre elles ont été évaluées pour leur toxicité potentielle » écrit Stéphane Horel.

Leurs noms sont barbares : on parle de formaldéhyde, de paraffine chlorée à chaîne courte, de composés fluorés, alkyphénols, de phtalates, de parabens. Mais il ne faut pas être effrayé par leur dénomination savante. Car ce sont des substances que nous connaissons sous d’autres identités. Prenons un exemple simple, bien développé dans l’ouvrage : le formaldéhyde est le doux nom du formol. Vous savez, ce liquide transparent dans lequel trempaient les spécimens de reptiles morts, sur les étagères de la salle de sciences naturelles du collège. Ce formol a des vertus conservatrices : il sert d’ailleurs toujours dans les laboratoires des hôpitaux. Mais ces qualités le prédestinent aussi à être utilisé comme liant, sous des formes variées, dans un nombre incalculable de produits de notre maison. On trouve du formaldéhyde dans les bois agglomérés, les contreplaqués, les parquets, les moquettes, les peintures, les revêtements de sols, les vêtements, les rideaux, les papiers, les détergents, et bien d’autres choses encore, y compris la fumée de cigarette.

Or ce composé organique volatil est connu pour ses défauts toxiques : « Dans le meilleur des cas, il irrite la gorge. Au pire, il est cancérogène » explique Stéphane Horel. Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC, à Lyon) l’a effectivement classé « cancérogène certain pour l’homme » en 2004. Or, selon une étude nationale menée par l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur, citée dans l’ouvrage, 22 % des logements français ont des teneurs de formaldéhyde dans l’air qui dépassent les normes édictées par l’Organisation mondiale de la santé. 22 %, cela représente des millions d’habitations où l’on respire mal. Etonnez-vous, ensuite, que la fréquence de l’asthme et des maladies respiratoires ait progressé en France ces 20 dernières années ! Mince progrès : il a fallu attendre la fin de l’été 2007 pour que la France adopte enfin une « valeur guide » pour le formaldéhyde. Autrement dit, une norme de santé, qui protège les personnes les plus vulnérables. Les fabricants de meubles devront un jour afficher la teneur toxique de leurs meubles. Ce ne sera pas du luxe. « Un panneau de particules et un meuble de bureau neufs peuvent dégager entre 300 et 400 microgrammes de fomaldéhyde par mètre carré de leur propre surface et par heure. Soit 30 à 40 fois plus que la valeur guide française » note l’auteur.

Bon, pas la peine de paniquer en lisant l’enquête de Stéphane Horel. Il y a des conseils simples à suivre pour éviter de s’intoxiquer bêtement chez soi. Par exemple : ouvrir sa fenêtre !

Vincent Nouzille

Le journaliste Vincent Nouzille est – notamment – l’auteur d’un très bon livre sur les polluants : Les empoisonneurs (Fayard, 2005).

[06 février 2008]