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Le pop-corn, ce tueur méconnu

Paresse et gourmandise nappées de ce coulis d’overgadgétisation si typiquement américaine. C’est le début des années 80 et des ingénieurs de l’industrie agroalimentaire viennent d’inventer le pop-corn micro-ondable. Comme une sorte d’hommage involontaire et rétroactif à Percy L. Spencer qui, en 1946, avait découvert le four à micro-ondes – à l’aide justement d’un grain de maïs que les micro-ondes firent poper.

Gardons nous des généralisations culturelles, mais personne sur Terre n’ignore cette tragédie gustative : les Américains raffolent du pop-corn. Ils en gobent 16 milliards de litres par an. Soit 54 litres par “homme, femme ou enfant”, selon les statistiques du Popcorn Institute, association à but non lucratif créée en 1998 par le lobby du popcorn, dans son Encyclopedia popcornica en ligne.

Au début des années 2000, l’institut fédéral américain pour la santé et la sécurité en milieu professionnel, l’OSHA, enquête sur les ennuis de santé des employés d’une usine de pop-corn dans le Missouri. Tous sont atteints d’une maladie respiratoire extrêmement rare, et grave : la bronchiolite oblitérante avec pneumopathie en voie d’organisation (bronchiolitis obliterans en anglais). Seule une transplantation de poumon permet aux malades de survivre. Depuis surnommée “popcorn worker lung” (mot à mot : le poumon du travailleur du pop-corn), cette maladie a été formellement liée à une substance chimique, le diacetyl, dont les employés ont respiré les vapeurs.

Le diacetyl est une substance naturelle, que l’on peut trouver dans les produits laitiers, le vin ou les fruits. Mais l’industrie agroalimentaire l’a synthétisé en laboratoire. Et l’utilise comme additif pour la confection de diverses nourritures. C’est lui qui donne son arôme de beurre au pop-corn micro-ondable. Mais aussi à des margarines et huiles de cuisson. Il y en a donc dans les plats préparés, les snacks et les chips, entre autres.

Nul besoin d’être un agriculteur entouré d’un nuage de pesticides pour dévaster sa santé, donc. Le popcorn a ruiné l’existence d’Eric Peoples et de plusieurs dizaines d’employés du pop-corn. L’affaire n’empêchait personne de dormir à l’OSHA, jusqu’à ce que le New York Times publie une enquête magistrale en avril 2007, pointant les manquements dans la protection des travailleurs, abandonnés au non vouloir de l’industrie.

Il semblerait que la maladie du pop-corn puisse aussi toucher aussi les simples consommateurs. En juillet 2007, un médecin signale à la Food and Drug Administration (FDA) le cas d’un homme atteint de la même affection après avoir chauffé deux sacs de pop-corn à la suite et en avoir respiré les vapeurs.

L’OSHA a fini par éditer des recommandations et mesures de sécurité à l’adresse des industriels du secteur. Plusieurs fabricants de pop-corn ont cessé d’utiliser le diacetyl. Mais d’autres renaclent, sur le thème sempiternel du “il n’y a pas assez de preuves scientifiques.” L’administation Bush, aussi, fait de la résistance : aux États-Unis, le maïs est un enjeu économique majeur. Le Congrès a donc pris les choses en main. Après plusieurs auditions, il a voté le “Popcorn Workers Lung Disease Prevention Act“, qui enjoint l’OSHA a édicter des normes de sécurité dans les deux ans.

À la veille de Noël 2007, le journal Seattle Post-Intelligencer entreprend d’analyser une vingtaine de ces produits censés remplacer le beurre pour la cuisson (huiles, margarines et substituts de beurre). Pour la plupart, les taux de diacetyl atteignent les mêmes niveaux que ceux des vapeurs des usines, voire les dépassent.

Dès lors, il devient évident que le diacetyl n’est pas uniquement un problème sanitaire de l’ouvrier du pop-corn. C’est l’ensemble des personnes qui passent plusieurs par jour devant des poêles et des bacs de friture dans les restaurants qui sont concernés. Soit 6,2 millions de travailleurs, selon les chiffres du Bureau américain du Travail. Les syndicats de cuistots et d’employés de cuisine – qui représentent 2 millions de personnes – se mobilisent et en appellent au Congrès pour interdire le diacetyl.

Et en Europe ? Le diacetyl n’est pas vraisemblablement pas un problème strictement américain. L’IUF – une fédération internationale de syndicats de l’agroalimentaire, de la restauration et de l’hôtellerie – a averti son bureau de Genève afin que les professionnels européens du secteur soient informés.

St.H.

Sources : Associated Press, Centers for Disease Control and Prevention, Defending science, OSHA, Seattle Post-Intelligencer, USA Today.

Photo grâcieusement fournie par le Popcorn Institute.

[17 décembre 2007]

Conseils incomplets aux futures et jeunes mamans

La couverture est hideuse. Une femme yogi constituée de feuilles de vieille salade, de haricots et de quartiers de mandarine fait vibrer son diaphragme en réfléchissant à un prénom. À l’intérieur, les illustrations sont tout droit sorties de Martine mange équilibré dans les années 50. L’Institut National de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) a publié en novembre 2007 son « Guide nutrition pendant et après la grossesse« .
Le contenu pèche aussi. Pas un mot sur les substances chimiques qui contaminent les aliments. Pour l’INPES, les “produits toxiques” sont l’alcool et le tabac. Point.

Certes, le guide mentionne le soja et les produits à base de soja, qu’il faut éviter : ils contiennent des œstrogènes végétaux (phyto-œstrogènes). Gênant, d’avoir dans le corps des hormones indésirées quand on est occupé à fabriquer un bébé. Mais qu’en est-il des xeno-œstrogènes et des autres perturbateurs endocriniens, ces substances chimiques qui imitent les hormones, et qu’on soupçonne fortement de pirater le système du fœtus en développement ?

C’est bien beau de manger 5 fruits et légumes par jour – la recommandation officielle – quand ils ont de grandes chances d’être recouverts de résidus de pesticides. Selon l’étude annuelle 2004 de la Commission européenne, 40% des aliments européens sont saupoudrés de pesticides, 4,7% dépassent les limites maximales. En outre, les services sanitaires ont identifiés 197 différentes sortes de pesticides.

Et puis il y a le dossier poisson. Dans le guide de l’INPES, on lit qu’il “est recommandé de diversifier les espèces en évitant certains poissons (marlin, espadon et siki)”. Pourquoi donc ? Ces espèces sont en fait 4 fois plus contaminées que les autres par le méthylmercure, un métal lourd dont la toxicité pour le cerveau en développement du fœtus est parfaitement connue. Alors que, d’année en année, l’Organisation mondiale de la santé et les États-Unis diminuent la dose hebdomadaire admissible en méthylmercure, la France regarde ses indicateurs d’un œil vitreux. Car le marlin, l’espadon et le siki ne sont pas les seuls poissons à risque. Tous ceux qu’on appelle les prédateurs sauvages sont truffés de méthymercure et d’autres substances qui s’accumulent dans leurs graisses (phénomène dit de bioaccumulation). “Mettez le poisson à votre menu au moins deux fois par semaine (n’oubliez pas les conserves – sardine, thon, maquereau, hareng – qui sont intéressantes sur le plan nutritionnel et peu chères)”, recommande l’INPES.

L’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) a, dans un avis, émis des recommandations qui ne sont absolument pas relayées dans le guide nutrition de Martine la femme yogi. L’Agence l’a dit en 2006 : les enfants en bas âge ne devraient pas manger plus de 60 grammes de poissons prédateurs sauvages par semaine. Quant aux femmes enceintes et allaitantes, c’est 150g maximum. Or le thon est aussi un prédateur sauvage.

Passées à la trappe aussi, les substances qui contaminent la nourriture via les emballages en plastique, les revêtements intérieurs de boîtes de conserve, ou tout bonnement parce que l’intégralité de la chaîne alimentaire se nourrit à la pollution chimique.

Ils semblent bien loin, ces pays scandinaves à la pointe de la santé publique où les livrets pour les femmes enceintes ne se limitent pas à la seule nourriture. Au Danemark, un livret d’information édité en 2007 recommande d’éviter les cosmétiques pendant la grossesse. On peut aussi rêver du jour où l’on préviendrait les futures mamans qu’utiliser des insecticides et des détergents peut être nocif pour le fœtus. On peut toujours rêver. Ou aller piocher quelques conseils de bon sens sur le site de Women in Europe for a Common Future (WECF).

Sources : AFSSA, Commission européenne, Organisation mondiale de la Santé.

St.H.