Archives de l’auteur : stephane

Un scientifique lié à l’industrie démissionne d’un Comité scientifique de l’UE

EHN logoUne petite suite à mon enquête publiée le mois dernier sur le site américain Environmental Health News. (Version française de l’enquête ici).

Wolfgang Dekant vient de démissionner de l’un des trois Comités scientifiques de la Commission européenne, le Comité scientifique des risques sanitaires émergents et nouveaux (CSRSEN) – en anglais Scientific Committee on Emerging and Newly Identified Health Risks (SCENIHR).

Ce scientifique allemand faisait partie des auteurs d’un éditorial controversé sur le projet de réglementation européenne des perturbateurs endocriniens.  Environmental Health News avait révélé que dix-sept de ses dix-huit auteurs ont collaboré avec l’industrie chimique, pharmaceutique, cosmétique, et celles du tabac, des pesticides ou des biotechnologies.

Wolfgang Dekant assure avoir démissionné de sa propre initiative. Des 17 auteurs de l’éditorial, il était le plus impliqué avec des industries concernées par la future réglementation sur les perturbateurs endocriniens.

Mon dernier article contient de nouvelles informations sur ses conflits d’intérêts. Lire l’article ici : Scientist with extensive industry ties quits EU advisory panel. Environmental Health News, 15 octobre 2013.

Tableau d’honneur

CJR UneLa nuit dernière, la Columbia Journalism Review a décerné un « Laurel » (laurier) à mon enquête sur les conflits d’intérêts de 17 scientifiques à l’origine d’un éditorial controversé sur les perturbateurs endocriniens. Cette revue est publiée par la prestigieuse Université de Columbia (États-Unis), qui est une référence en matière de journalisme.

L’enquête racontait que 17 rédacteurs en chef de revues scientifiques hostiles au projet de réglementation européenne des perturbateurs endocriniens étaient liés à l’industrie. Cet article, que j’ai écrit avec mon confrère américain, Brian Bienkowski, avait été publié sur le site d’informations  Environmental Health News le 23 septembre dernier.

Une version française de l’article est disponible ici.

Perturbateurs endocriniens : conflits d’intérêts à haute dose


Un groupe de scientifiques à l’origine d’un éditorial hostile au projet de réglementation européenne des perturbateurs endocriniens est lié à l’industrie.

Par Stéphane Horel et Brian Bienkowski
Article publié par Environmental Health News, 23 septembre 2013
Mis à jour le 4 octobre
Télécharger le PDF de l'article

Version pdf de l’article

P1070380 copie

Le boulevard Charlemagne depuis le siège de la Commission européenne, à Bruxelles [Photo St. Horel].

Dix-sept sur dix-huit. Selon une enquête d’Environmental Health News, la quasi totalité des auteurs d’un éditorial controversé sur le projet de réglementation européenne des perturbateurs endocriniens sont liés à l’industrie. Ces dix-sept rédacteurs et rédacteurs en chef de plusieurs revues de toxicologie ont collaboré avec l’industrie chimique, pharmaceutique, cosmétique, et celles du tabac, des pesticides ou des biotechnologies. Certains ont bénéficié de financements d’associations industrielles. D’autres ont travaillé comme consultants ou conseillers [Voir ci-dessous Conflits d’intérêts : révélations sur des scientifiques liés à l’industrie].

Publié dans quatorze revues scientifiques entre juillet et septembre, l’éditorial a soulevé une vague d’indignation dans le milieu scientifique européen et à Bruxelles. Le texte critique le projet de proposition de la Direction Générale de l’Environnement de la Commission, fuité en juin. Ce projet recommande une approche de précaution qui pourrait mener à l’interdiction de produits chimiques d’usage courant. Les signataires de l’éditorial, qui comptent plusieurs professeurs de toxicologie d’universités européennes, estiment que le projet, « sans base scientifique », « défie le sens commun, la science bien établie et les principes de l’évaluation des risques ». La proposition pourrait avoir des « implications inquiétantes » pour la « science, l’économie et le bien-être de l’humanité dans le monde entier », et elle est « dépourvue de la rigueur scientifique qu’exigent des dispositions législatives aussi importantes », écrivent-ils.

Les perturbateurs endocriniens sont des produits chimiques qui peuvent interférer avec les hormones comme l’œstrogène, la testostérone ou les hormones thyroïdiennes. On les trouve dans les produits de consommation courante comme les aliments, les cosmétiques, les pesticides et les plastiques. Parmi eux, le bisphénol-A, contenu dans les plastiques rigides, certains tickets de caisse ou le vernis intérieur des boîtes de conserve ; les phtalates, utilisés dans les parfums et le vinyl ; ainsi que certains pesticides et retardateurs de flamme. Leurs effets sur la santé humaine sont incertains, mais de nombreuses études sur l’animal, ainsi que des études sur l’homme, les relient à des troubles de la reproduction, des cancers et d’autres maladies.

Les enjeux de la controverse sont importants. La Commission européenne est engagée dans l’élaboration d’une stratégie pour réglementer les perturbateurs endocriniens. L’Europe deviendrait alors la première région au monde à se doter de nouvelles règles du jeu qui auraient des répercussions à l’échelle globale : l’ensemble des industriels qui commercialisent des produits sur le marché européen devront s’y soumettre, tous secteurs confondus.

Des conflits  « inquiétants »
Les scientifiques qui ont répondu aux questions de Environmental Health News démentent avoir été influencés par l’industrie. Toxicologue et auteur principal de l’éditorial, Daniel Dietrich a conseillé un organisme industriel financé par le secteur de la chimie, des pesticides et du pétrole qui est impliqué dans le lobbying sur les perturbateurs endocriniens auprès de la Commission européenne. « Nous pensons que le débat sur les conflits d’intérêts ne rendra service à personne parce qu’il détourne l’attention du vrai problème », a déclaré Daniel Dietrich lors d’un entretien.

D’autres scientifiques s’interrogent pourtant sur les motivations des auteurs et relèvent l’absence de publication de leurs liens éventuels avec l’industrie [NDLR. Les articles publiés dans la littérature scientifique sont en général accompagnés d’une déclaration d’intérêt des auteurs. Ce n’était pas le cas de l’éditorial de Dietrich]. Un éditorial critiquant une proposition de politique publique est une « initative inhabituelle » pour des rédacteurs de revues scientifiques, jugent-ils.

Ake Bergman

Åke Bergman, Université de Stockholm.

« Cet éditorial me surprend beaucoup. Je le trouve émotionnel et vague. Il mélange science et politique et comporte trop d’erreurs », confie Åke Bergman, chercheur en chimie environnementale à l’Université de Stockholm. Mis au courant des conflits d’intérêts des auteurs, il les a qualifiés d’« inquiétants ». Le 27 août, quarante et un scientifiques sans conflits d’intérêts déclarés – dont Åke Bergman – ont publié une réfutation dans la revue Environmental Health. Ils y estiment « préoccupant que l’éditorial de Dietrich semble avoir été conçu comme une intervention destinée à avoir un impact sur les décisions imminentes de la Commission européenne ». L’éditorial, écrivent-ils, « ignore les preuves scientifiques et les principes bien établis de l’évaluation des risques des produits chimiques ». Spécialistes reconnus au niveau mondial, quatorze des auteurs de cette réponse, dont Åke Bergman, ont participé à la rédaction d’un récent rapport sur les perturbateurs endocriniens pour l’Organisation mondiale de la Santé et le Programme des Nations unies pour l’Environnement. Ce rapport qualifiait les perturbateurs endocriniens de « menace mondiale à laquelle il faut apporter une solution ».

Une seconde réfutation, signée celle-là par 104 scientifiques et rédacteurs de revues scientifiques a été publiée le 18 septembre.  L’éditorial de Dietrich et ses collègues « dessert la Commission européenne, la science – y compris le domaine de la toxicologie –, et surtout la santé publique », écrivent-ils dans la revue Endocrinology. L’un de ses signataires, Pete Myers, fondateur de Environmental Health News, est directeur scientifique de l’organisation Environmental Health Sciences et rédacteur en chef adjoint de la revue Endocrine Disruptors.

La stratégie de la Commission européenne
La Commission européenne prévoit de réguler les perturbateurs endocriniens en modifiant trois de ses règlements. Au cœur du processus, deux questions controversées. Tout d’abord, la Commission doit décider si ces substances sont inoffensives en dessous d’un certain seuil de concentration. Si aucun seuil ne peut être déterminé, l’industrie devra alors démontrer que les bénéfices socio-économiques l’emportent sur les risques pour la santé humaine, ou bien qu’il n’existe pas d’alternative. Sans quoi ils seraient interdits dans le cadre de REACH, la réglementation européenne sur les produits chimiques industriels adoptée en 2006. La seconde question concerne les perturbateurs endocriniens de la famille des pesticides et des biocides, déjà soumis à de nouvelles réglementations qui exigent leur retrait du marché. Encore faut-il que la Commission élabore les critères précis qui permettront de les identifier.

La Commission devait annoncer sa proposition finale cette année. Mais elle envisage désormais de lancer une « étude d’impact »(« impact assessment »), une procédure qui pourrait retarder l’ensemble des décisions jusqu’à la fin de l’année prochaine.

Le lobbying des industriels de la chimie, des pesticides, des cosmétiques et du plastique auprès de la Commission s’oppose à toute réglementation supplémentaire. L’industrie affirme que des seuils existent pour les perturbateurs endocriniens et conteste l’approche de précaution pour l’établissement des critères d’identification.

Dietrich

L’éditorial critiquant la Commission européenne.

Les 18 auteurs de l’éditorial critiquent l’approche de l’Union européenne, qu’ils estiment « fondée sur une quasi ignorance de principes de pharmacologie et de toxicologie à la fois bien établis et intégrés dans l’enseignement ». Ils affirment que l’on peut déterminer un seuil pour les perturbateurs endocriniens, et que les toxicologues devraient faire la distinction entre les effets qui déclenchent une réponse d’adaptation du système hormonal et de réels effets nocifs.

Mais d’autres scientifiques désapprouvent leur position. Les perturbations hormonales au cours du développement peuvent avoir des effets irréversibles, répliquent Åke Bergman et ses collègues dans leur réfutation. Quant à « l’existence d’un seuil pour les perturbateurs endocriniens », ajoutent-ils, elle ne peut être « démontrée de façon expérimentale ». Des scientifiques soutiennent que les études sur l’animal montrent que le bisphénol-A et d’autres perturbateurs endocriniens peuvent être nocifs pour le fœtus à de faibles doses, tandis que des doses plus élevées n’ont pas d’effets ou des effets différents.

« Dans son aspect le plus préoccupant, l’éditorial de Dietrich et ses collègues brouille les frontières entre ce qui relève de la science et ce qui appartient aux domaines des choix politiques, sociétaux et démocratiques », écrivent les 41 auteurs de la première réfutation. L’éditorial de Dietrich était en effet accompagné d’une lettre signée par 71 scientifiques – parmi lesquels certains auteurs de l’éditorial – qui exhorte la Conseillère scientifique principale auprès du Président de la Commission européenne, Anne Glover, à intervenir dans le débat. Au moins 40 d’entre eux ont des liens avec diverses industries. L’organisation européenne des industries des pesticides – European crop protection association (ECPA) – a récemment apporté son soutien à leur démarche.

Influencé par l’industrie ? « La  question est complètement idiote »
Rédacteur en chef de la revue Environmental Health, Philippe Grandjean a pressé Dietrich et ses collègues de corriger leur « oubli » concernant la mention de leurs conflits d’intérêts potentiels. « C’est important que les universitaires partagent leur savoir avec les parties prenantes. Mais quand des intérêts financiers sont en jeu, il est également important que cela soit rendu public », estime Philippe Grandjean, qui est professeur et directeur de recherche en médecine environnementale à l’Université du Danemark du Sud, et professeur associé en santé environnementale à l’école de santé publique de Harvard.

Daniel Diterich

Daniel Dietrich, Université de Constance.

De son côté, Daniel Dietrich soutient que l’absence de déclaration des conflits d’intérets est due à la nature du texte – un éditorial –, et qu’il ne s’agissait pas de publier « des données sur telle ou telle substance ». Que l’industrie ait apporté son soutien à lettre destinée à Anne Glover est, d’après lui, hors de propos. « Il y a des choses qu’on ne peut pas contrôler. Si quelqu’un – que ce soit l’industrie chimique, la Commission européene, ou n’importe qui – vient me dire “c’est une bonne idée”, cela ne veut pas nécessairement dire que je suis affilié avec tel ou untel », avance Daniel Dietrich, qui est rédacteur en chef de la revue Chemico-Biological Interactions et directeur du groupe de recherche en toxicologie environnementale à l’Université de Constance, en Allemagne.Daniel Dietrich est un ancien conseiller du Centre européen d’écotoxicologie et de toxicologie des produits chimiques (ECETOC), qui est financé par des industriels de la chimie, des pesticides et du pétrole. Il a également publié dans la littérature scientifique avec des employés de Dow Europe et de firmes pharmaceutiques.

Quand on lui demande si son implication avec l’industrie a influencé son opinion sur le projet de réglementation, Bas Blaauboer, rédacteur en chef de la revue Toxicology in vitro, réplique que « la  question est complètement idiote ». « Quand on travaille dans une université, on collabore avec des gens partout dans le monde, y compris avec des gens qui travaillent dans l’industrie. Mais on a toujours la liberté de dire ce que l’on veut », affirme-t-il. « Si vous arrivez à identifier un seul de mes propos qui serait manifestement influencé par ce type de conflits d’intérêts, faites-le moi savoir. Mais vous n’en trouverez pas. » Professeur de toxicologie à l’Université d’Utrecht aux Pays-Bas, Bas Blaauboer, a reçu 399.676€ de fonds de recherche du Conseil européen de l’industrie chimique (CEFIC) entre avril 2008 et mars 2010. Il est également membre d’un comité technique sur l’évaluation des risques au sein de l’International Life Sciences Institute (ILSI), une organisation financée par l’industrie.

Être financé par l’industrie, « manière normale de procéder »
Obtenir de l’argent auprès de plusieurs sources – notamment l’industrie –, est une « manière normale de procéder » pour faire de la recherche aujourd’hui, explique Wolfgang Dekant, rédacteur en chef de la revue Toxicology Letters et professeur de toxicologie à l’Université de Würzburg, en Allemagne. « On ne peut plus faire de recherche si l’on ne va pas chercher de l’argent, toutes sources confondues. » Wolfgan Dekant a bénéficié d’un financement de l’industrie chimique pour une étude sur le bisphénol A publiée en 2008, et a signé 18 contrats de consultant au cours des cinq dernières années. Il dément toute influence de l’industrie.

Jan Hengstler, rédacteur en chef de la revue Archives of Toxicology, a dirigé une analyse de la littérature scientifique sur le bisphénol-A en 2011. Parmi ses co-auteurs figuraient un employé d’une division de Bayer AG, le premier producteur de bisphénol-A ; ainsi qu’un scientifique lui-même auteur d’une étude menée pour le compte de l’American Chemistry Council sur le bisphénol-A [NDLR : American Chemistry Council est l’association des industries chimiques américaines]. L’étude avait conclu que « l’exposition ne représent[ait] aucun risque notable pour la santé de la population humaine, y compris les nouveaux-nés et les bébés ».

Lors d’un entretien, Jan Hengstler a déclaré ne pas avoir de liens avec l’industrie. « Je ne m’intéresse qu’aux choses scientifiques », dit ce chercheur, qui dirige le Centre de recherche Leibniz sur les l’environnement de travail et les facteurs humains (IFADO) à l’Université technique de Dortmund, en Allemagne.

Nigel Gooderham, rédacteur en chef de la revue Toxicology Research, collabore ou a collaboré avec les industries agroalimentaire, pharmaceutique, et celle des pesticides. « Je n’avais rien à gagner de quelque firme que ce soit en signant ce document. Je l’ai fait en me reposant uniquement sur ma réflexion et mon analyse scientifique », a déclaré Nigel Gooderham, qui est professeur de toxicologie moléculaire à l’Imperial College de Londres.

Rédactrice en chef de la revue ALTEX, Sonja von Aulock n’a pas de liens connus avec l’industrie. Mais selon elle, collaborer avec l’industrie « ne veut pas dire que les scientifiques sont biaisés par d’éventuels intérêts financiers de l’industrie, ou qu’ils se gardent de prendre des positions qu’ils estimeraient ne pas être dans l’intérêt de la santé publique ».

Olavi Pelkonen, Kerstin Stemmer, Hans Marquardt et Albert Li ont également reconnu des collaborations passées ou en cours, mais nient tout conflit d’intérêts. Abby Collier, Gio Batta Gori, Alan Harvey, A. Wallace Hayes, James Kehrer, Florian Lang, Frans Nijkamp et Kai Savolainen n’ont pas répondu aux sollicitations de Environmental Health News.

Les responsables de la Commission européenne, eux, soulignent que la réglementation des perturbateurs endocriniens reposera sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles. « Nous souhaitons tous que nos décisions soient fondées sur la science », assure Joseph Hennon, porte-parole de la Commission européenne pour l’environnement, dans un email. « Et nous comptons sur la communauté scientifique pour jouer son rôle en informant les politiques publiques et les décideurs avec des faits et des chiffres. » Avant d’ajouter : « Les relations entre science et politique doivent être basées sur la confiance. Et nous faisons confiance aux scientifiques pour agir de manière indépendante pour le bénéfice de tous. »

 

Conflits d’intérêts : révélations sur des scientifiques liés à l’industrie

Par Stéphane Horel
Article publié par Environmental Health News, 23 septembre 2013

Dix-sept des 18 scientifiques à l’origine d’un éditorial hostile au projet de réglementation européenne des perturbateurs endocriniens ont des liens passés ou actuels avec l’industrie.

Bas BlaauboerBas Blaauboer, rédacteur pour l’Europe, Toxicology in vitro ; professeur de toxicologie, Université d’Utrecht (Pays-Bas)
Bénéficaire d’un financement de recherche de 399.676 € du Conseil européen de l’industrie chimique (CEFIC) entre avril 2008 et mars 2010. Membre de Risk 21, un projet sur évaluation des risques du Health and Environmental Science Institute (HESI), qui appartient à International Life Sciences Institute (ILSI), une organisation financée par les industriels des secteurs agroalimentaire, agricole, chimique, pharmaceutique et des biotechnologies.

Abby CollierAbby C. Collier, chef de rubrique, Chemico-Biological Interactions ; professeur adjoint, John A. Burns School of Medicine, Université d’Hawaii (États-Unis)
Auteur d’une étude en partie subventionnée par le « Human Drug Conjugation Consortium » (AstraZeneca, Boehringer Ingelheim, GlaxoSmithKline, F. Hoffman-La Roche, Lilly, Novartis, Pfizer et Wyeth-Ayerst) en 2012. Son laboratoire est en partie financé par des fondations privées.

 

Wolfgang DekantWolfgang Dekant, rédacteur en chef, Toxicology Letters ; professeur de toxicologie à l’Université de Würzburg (Allemagne)
Financement de l’American Chemistry Council pour une étude sur le bisphénol A en 2008. 18 contrats de consultant avec des sociétés privées entre 2007 et 2012. Membre du conseil scientifique du Research Institute for Fragrance Material, une organisation de l’industrie du parfum, des détergents et des cosmétiques. Ancien membre d’un groupe consultatif pour l’Association allemande de l’industrie automobile. Financements de recherche de Honeywell depuis 2006 (source pour ces collaborations). Co-auteur d’une étude financée en 2013 par la Tetrahydrofuran Task Force, un consortium de fabricants américains de tétrahydrofurane, le Conseil européen de l’industrie chimique (CEFIC) et le Toxicology Forum. Collaboration avec l’organisation de lobbying International Life Sciences Institute (ILSI) en 2005.

Daniel DiterichDaniel R. Dietrich, rédacteur en chef, Chemico-Biological Interactions ; directeur du groupe de recherche en toxicologie environnementale à l’Université de Constance (Allemagne)
Ancien conseiller pour le Centre européen d’écotoxicologie et de toxicologie des produits chimiques (ECETOC), financé par des industriels de la chimie, des pesticides et du pétrole. Co-auteur d’études avec des employés de Dow Europe et AstraZeneca, et Bayer Healthcare.

Nigel Gooderham

Nigel Gooderham, rédacteur en chef, Toxicology Research ; professeur de toxicologie moléculaire, Imperial College London (Grande-Bretagne)
Membre du groupe d’experts de la Flavor and Extract Manufacturers Association (FEMA), l’association américaine de l’industrie des arômes. Financements de recherche de GlaxoSmithKline et du fabricant de pesticide Syngenta. Collaboration avec Nestlé (source pour ces collaborations). Ancien consultant pour Procter & Gamble et actionnaire de Banco Santander et Hargreaves Lansdown. Co-auteur d’études avec des employés de GlaxoSmithKline, AstraZeneca et Syngenta.

Gio GoriGio Batta Gori, rédacteur en chef, Regulatory Toxicology and Pharmacology (États-Unis)
Consultant de l’industrie du tabac de 1980 à 1999 avec des revenus de plusieurs millions de dollars.  La société savante International Society of Regulatory Toxicology & Pharmacology (ISRTP), propriétaire de la revue Regulatory Toxicology and Pharmacology, a été financée par l’American Chemistry Council, Dow AgroSciences, Coca-Cola, Monsanto ou The Weinberg Group.

Alan Harvey

 

Alan L. Harvey, rédacteur en chef de Toxicon ; professeur de pharmacologie, Strathclyde Institute of Pharmacy and Biomedical Sciences (Grande-Bretagne)
Son groupe de recherche au sein du Strathclyde Institute of Pharmacy and Biomedical Sciences dit avoir « des liens actifs » avec Pfizer, Allergan, Schering Plough, Johnston Matthey, GlaxoSmithKline et AstraZeneca.

 

A Wallace HayesA. Wallace Hayes, rédacteur pour les Amériques, Human and Experimental Toxicology ; rédacteur en chef, Food and Chemical Toxicology ; conseiller scientifique principal chez  Spherix Consulting (États-Unis)
Ancien employé de Rohm and Haas Company, aujourd’hui une filiale de Dow Chemicals, de 1980 à 1984, et du géant du tabac R.J. Reynolds de 1984 à 1991 ; ancien vice-président pour « l’intégrité des produits » chez Gillette Company (source); ancien directeur et responsable de la sécurité des produits chez Gradient Corp. Conseiller scientifique principal chez Spherix Consulting.

Jan HengstlerJan Hengstler, rédacteur en chef, Archives of Toxicology ; directeur du Centre de recherche Leibniz sur l’environnement de travail et les facteurs humains (IFADO) à l’Université technique de Dortmund (Allemagne)
Auteur d’une analyse de la littérature scientifique sur le bisphénol A, publiée en 2011, qui concluait : « l’exposition ne représente aucun risque notable pour la santé de la population humaine, y compris les nouveaux-nés et les bébés ». Parmi ses co-auteurs figuraient un employé de Bayer Schering Pharma, une division de Bayer AG, le premier producteur de bisphénol A, deux consultants, et Wolfgang Völkel, auteur d’une autre analyse sur le bisphénol A menée en 2008 pour le compte de l’American Chemistry Council avec Wolfgang Dekant (voir ci-dessus).

James KehrerJames P. Kehrer, rédacteur en chef, Toxicology Letters ; professeur et doyen de la faculté de pharmacie et des sciences pharmaceutiques, Université de l’Alberta (Canada)
A reçu 22.500 $ du géant du tabac R.J. Reynolds en 1997, selon son curriculum vitae. Doyen de la faculté de pharmacie et des sciences pharmaceutiques à l’Université de l’Alberta, qui a reçu un don de 7 millions de dollars du Groupe Katz en 2007, assorti de 5,5 millions de dollars de firmes pharmaceutiques.

Florian Lang

 

Florian Lang, rédacteur en chef, Toxins ; directeur du département de physiologie, Université de Tübingen (Allemagne)
Co-inventeur de 17 brevets pour des substances déposées par le géant pharmaceutique Merck.

 

Albert LiAlbert Li, chef de rubrique, Chemico-Biological Interaction; PDG de In vitro ADMET Laboratories LLC, (États-Unis)
Ancien employé de Monsanto, 1982-1993. Co-fondateur, président et PDG de quatre sociétés de biotechnologie depuis 2004. Récompensé par le Monsanto Achievement Award (1985), le Monsanto Searle Research Alert Award (1992), et le Recognition Award de Ciba Pharmaceuticals Preclinical Safety (1995) (Source).

 

Hans Marquardt, rédacteur en chef, Toxicology ; département de Toxicologie (retraité), École de médecine de l’Université de Hambourg (Allemagne)
Membre du conseil scientifique du « Programme de recherche externe », du géant du tabac Philip Morris en 2001, 2002, 2003, 2004, 2005, 2006 et 2007. Rémunéré 51.076 $ pour son travail en 2002-2003.

Frans NijkampFrans P. Nijkamp, rédacteur en chef, European Journal of Pharmacology ; ancien directeur du département de pharmacologie et de physiopathologie, Université d’Utrecht (Pays-Bas)
PDG de CURAX BV, une Contract research organization (CRO) affiliée à l’organisation de lobbying ILSI Europe, et fournissant ses services pour « tester de nouvelles entités chimiques pour l’industrie pharmaceutique, ainsi que de nouveaux ingrédients pour l’industrie agroalimentaire ». Récompensé par un prix de 25.000 € d’AzkoNobel en 2006.

Olavi-PelkonenOlavi Pelkonen, rédacteur en chef, Frontiers in Predictive Toxicology ; professeur de pharmacologie (émérite) et ancien directeur du département de pharmacologie et de toxicologie de l’Université de Oulu (Finlande)
Classé « Niveau de risque 3 » par l’Agence européenne des médicaments pour ses « intérêts directs avec l’industrie pharmaceutiques », comme ses activités de consultant pour Pfizer, Orion Pharma, UCB Pharma ou Xemet.

Kai SavolainenKai Savolainen, rédacteur pour l’Europe et le reste du monde, Human and Experimental Toxicology, directeur du Nanosafety Research Centre, Institut finlandais de la santé au travail (Finlande)
Impliqué dans des projets de recherche européens comprenant des partenaires privés et des financements privés partiels, comme NANOREG (BASF, Arkema France, Bayer MaterialScience AG), NANODEVICE, NANOKEM, NANOSUSTAIN et NANEX. Son employeur (Institut finlandais de la santé au travail) est un membre affilié de la Nanotechnology Industries Association (Association des industries des nanotechnologies).

 

Kerstin StemmerKerstin Stemmer, rédactrice en chef adjointe, Toxicology in Vitro ; directrice du département Métabolisme et cancer à l’Institut pour le diabète et l’obésité, Helmholtz Centre, Münich (Allemagne)
Thèse de doctorat en collaboration avec Bayer-Schering AG. Co-auteur d’études avec des employés de Bayer HealthCare AG, et Eli Lilly and Co. et Hoffmann-La Roche avec des fonds de recherche de Marcadia Biotech et Roche Pharmaceuticals. Récompensée par le Junior Investigator Award de Nycomed en 2010.

Sonja von Aulock

Sonja von Aulock, rédactrice en chef, ALTEX ; scientifique, département de pharmacologie biochimique, Université de Constance (Allemagne)
Pas de liens connus avec l’industrie.

**************

Adapté pour la version française par Stéphane Horel.

Stéphane Horel, basée à Paris, est une journaliste indépendante et documentariste qui enquête sur les conflits d’intérêts et l’influence autour de questions de santé publique. Elle travaille sur un documentaire sur la réglementation des perturbateurs endocriniens en Europe.
Brian Bienkowski est rédacteur en chef et journaliste à Environmental Health News.

Envoyez vos questions ou commentaires à la rédactrice en chef de Environmental Health News, Marla Cone – mcone@ehn.org

Environmental Health News (EHN) est un service d’information financé par des fondations et basé aux États-Unis. EHN publie ses propres articles et offre un accès quotidien aux informations environnementales du monde entier.

Liens vers les articles originaux en anglais :
http://www.environmentalhealthnews.org/ehs/news/2013/eu-conflict
http://www.environmentalhealthnews.org/ehs/news/2013/eu-conflict-list

Interview – Les perturbateurs endocriniens, objets de tous les lobbies

logo-jdle

 

Article de Marine Jobert publié par le Journal de l’Environnement, 23 septembre 2013

Il n’est pas si courant de pouvoir observer en temps réel les manœuvres de lobbying de l’industrie pour influencer l’élaboration d’une politique publique périlleuse pour ses intérêts. La publication, par la Commission européenne, de la définition et des critères concernant les perturbateurs endocriniens (PE) est un cas d’école, car elle aura des conséquences économiques d’importance dans les domaines de la chimie, des pesticides, des biocides, mais aussi des cosmétiques ou de l’eau. La DG Environnement, qui devait se prononcer en décembre prochain, envisage maintenant de lancer une procédure d’évaluation d’impact (économique), qui repoussera de 6 à 8 mois la prise de définition. Il s’agissait d’une des revendications de l’industrie.

C’est dans ce contexte très délicat que 18 scientifiques ont publié cet été un même éditorial dans 14 revues scientifiques. Leur objectif: décrédibiliser la position scientifique de la DG environnement, basée sur le principe de précaution. En réponse, 41 scientifiques ont publié un texte critiquant ces auteurs et leurs positions peu ou mal étayées. En apparence technique, cette controverse donne l’occasion de voir à l’œuvre une opération de lobbying d’une part, mais aussi les liens parfois troubles que la science peut entretenir avec le secteur privé. Car, comme le démontre la journaliste Stéphane Horel aux termes d’une enquête fouillée sur les conflits d’intérêts, la quasi-totalité des cosignataires du premier éditorial nourrissent des liens forts avec les industries dont leur texte défend les intérêts. Son enquête vient de paraître dans Environmental Health News[1].

– JDLE: Tout part d’une «fuite» d’une recommandation rédigée par la DG Environnement sur la définition des critères des PE… Que contient ce document? A qui profite le crime?

Stéphane Horel – Cette recommandation qui a «fuité» n’a pas révélé les intentions de la DG Environnement, car tout le travail antérieur (rapport Kortemkamp, groupe ad hoc, groupe experts à la DG et leur rapport JRC) témoignait de la direction dans laquelle travaille la DG. A savoir que l’évaluation sanitaire des PE ne serait plus basée sur une évaluation a posteriori du danger de la substance –comme c’est le cas aujourd’hui pour tout produit- mais sur une évaluation a priori. C’est le Parlement européen qui a introduit ces «critères guillotines» dans les réglementations consacrées aux pesticides et aux biocides, votées en 2009 et 2012. Désormais, on évaluera les dangers auxquels peuvent être soumis les gens avant de les exposer.

JDLE – Combien de produits pourraient-ils être concernés par cette nouvelle réglementation?

Stéphane Horel – L’industrie donne des chiffres un peu exagérés pour faire peur, comme lors des discussions autour de la réglementation Reach[2]. Dans l’une de ses évaluations des impacts économiques de la réglementation, l’industrie avance que 20% des substances seraient bannies du marché européen. Des conséquences accrues par le fait que cela toucherait des pesticides parmi les plus vendus.

JDLE- Or derrière l’enjeu économique se cache un enjeu scientifique crucial quand il s’agit des PE: c’est la question des seuils en deçà desquels ou à partir desquels les PE ont, ou n’ont pas, des effets sur la santé.

Stéphane Horel – Effectivement. Pour essayer de faire simple dans une architecture très compliquée, il faut savoir que dans la logique de Reach, on se demande d’abord: les PE sont-ils des substances hautement préoccupantes? Si c’est le cas, soit on considère qu’on peut maîtriser l’exposition des gens, c’est l’«usage contrôlé», un terme un peu marqué à cause de l’histoire de l’amiante, et alors le produit reste sur le marché. Soit on ne peut pas en maîtriser les risques. Une évaluation socio-économique est alors menée, au cours de laquelle les fabricants devront démontrer que les bénéfices apportés par le produit l’emportent sur les risques pour la santé et qu’il n’existe pas de substitut. Le critère déterminant pour ces deux approches, c’est de savoir si on peut déterminer un seuil en deçà duquel il n’y aura pas d’effet sanitaire. Or justement, les PE ne connaissent pas les seuils, ils sont actifs, et parfois même plus actifs, à faible dose. Il y a donc là un enjeu économique, mais aussi scientifique, car certains toxicologues peinent à remettre en cause le concept -qui fonde toute leur discipline depuis des siècles- selon lequel la dose fait le poison.

JDLE – Pour en revenir à la controverse scientifique, quels sont les profils de carrière des signataires du premier éditorial, qui tente de décrédibiliser le rapport préliminaire qui a «fuité»?

Stéphane Horel – D’abord, il faut bien avoir à l’esprit que c’est du jamais vu, de la part de scientifiques, d’attaquer de la sorte une intention politique. C’est en tant que rédacteurs en chef (ou adjoints) de revues scientifiques qu’ils vont publier simultanément le même texte dans leurs 14 revues. Leurs attaques sont toutefois assez floues: ils n’explicitent pas les enjeux, ils ne citent pas les documents visés. C’est un texte très court -une page et demi- alors qu’ils s’en prennent tout de même à trois ans de travail. En outre, leurs critiques ne sont pas sourcées, et il y a peu de références scientifiques à l’appui de leurs critiques. «L’aspect le plus préoccupant de cet éditorial, c’est qu’il brouille la barrière entre ce qui relève de la science et ce qui dépend de choix politiques, sociétaux et démocratiques», estiment les auteurs du «contre-édito».

Maintenant, décrivons plus précisément leur pedigree… … Sur les 18 signataires, j’ai mis en évidence que 17 d’entre eux entretiennent ou ont entretenu des liens avec différentes industries. Pour la plupart, ce sont des gens qui ont déjà fait carrière, et qui sont à la tête de services ou de départements. Huit d’entre eux sont des professeurs de toxicologie. Mais quasiment aucun n’a travaillé sur les PE, ce qui soulève la question de l’étendue de leurs connaissances dans ce domaine relativement neuf et donc de leurs compétences. Nigel Gooderham, rédacteur en chef de Toxicology Research journal et professeur de toxicologie moléculaire à l’Imperial College London, m’a expliqué qu’en signant cet éditorial «il n’avait rien à gagner. C’était purement basé sur [sa] réflexion scientifique et [son] analyse».

Mais il y aussi des gens au profil curieux, comme Gio Batta Gori: c’est presque une célébrité, pour moi qui travaille sur les réseaux d’influence et les stratégies de l’industrie. En effet, c’est un ancien consultant de l’industrie du tabac, du début des années 1980 à la fin des années 1990, comme les «tobacco documents» le révèlent. La revue qu’il dirige est une revue dite «capturée» par l’industrie, puisqu’elle appartient à une société savante qui ne révèle pas ses sponsors. Mais une plongée dans les archives démontre qu’il s’agit de Philip Morris, Coca Cola, Monsanto et d’autres.

JDLE – A cet éditorial était jointe une lettre adressée à Anne Glover, la conseillère scientifique en chef du président de la Commission, José Manuel Barosso. Que dit cette lettre?

Stéphane Horel – A peu près la même chose que l’éditorial, en s’adressant en plus à Anne Glover pour intervenir dans le débat et le processus officiel, notamment en lui demandant de faire intervenir les trois comités scientifiques[3] de la Commission. S’adresser à elle, c’est un geste éminemment politique. En creux, c’est une attaque contre une décision votée par le peuple, à savoir cette approche de précaution.

Qui sont-ils? Sur les 71 signataires, j’ai mis à jour sur 40 d’entre eux des liens documentés avec le secteur privé. Sans compter qu’une partie ne travaillent pas sur les PE. Ce qui est très choquant, c’est qu’autant les signataires du premier éditorial se réclamaient de leur seul titre de rédacteurs en chef, autant parmi les 71 scientifiques qui ont co-signé la lettre à Anne Glover, 15 mettent la nature de leurs fonctions en avant, mais aussi les positions qu’ils peuvent ou ont pu occuper dans différentes instances européennes! C’est notamment le cas pour deux d’entre eux, qui ont collaboré au groupe de travail PE monté par l’Efsa en octobre 2012 et qui a rendu son opinion en mars 2013. On se demande donc à quel titre ils s’expriment. Il n’y a pas de code de conduite sur le sujet à l’Efsa, mais cela pose question.

Cerise sur le gâteau, le lobby des pesticides a soutenu publiquement cette lettre ouverte. L’un des signataires m’a dit qu’il n’est pas responsable de qui soutient ou pas leurs positions. Mais je trouve intéressant de constater que la position prise par ces scientifiques est soutenue par l’industrie.

JDLE – La riposte a été immédiate. Quel est le profil des signataires de la réponse à l’éditorial?

Stéphane Horel – Sur les 41 signataires de ce texte, 14 ont participé au rapport de l’OMS/Pnue. Ce sont des gens qui savent de quoi ils parlent. Ils ont par ailleurs eu l’élégance de déclarer leurs conflits d’intérêts avec le secteur privé –ils n’en ont aucun- comme c’est la norme en ce domaine. Ce à quoi Daniel Dietrich, l’auteur principal du premier éditorial, considère qu’il n’y avait pas matière à publier quoi que ce soit sur d’éventuels conflits d’intérêts, puisque les scientifiques s’exprimaient dans le cadre d’un éditorial, et non d’un article scientifique qui aurait pu avoir de l’influence sur l’un ou l’autre produit chimique. Cela témoigne a minima d’une compréhension extrêmement étroite de ce que c’est que de publier ses conflits d’intérêts…

JDLE – Vous êtes une journaliste spécialisée dans la mise au jour de ces conflits d’intérêts entre scientifiques et industrie. Est-ce si courant et pourquoi est-ce si important?

Stéphane Horel – Grâce au Mediator, le grand public en France a compris que cette question n’était pas une question purement théorique ou intellectuelle, mais qu’elle avait des conséquences sur la santé des gens. Les questions de controverses –ou de pseudo controverses- scientifiques ne peuvent plus se dérouler sans que l’on se demande: mais d’où parlent les gens qui s’expriment? Le fait est qu’on est aujourd’hui dans une situation de conflits d’intérêts généralisée, notamment parce que c’est une des stratégies avérées de l’industrie de créer des liens avec les experts. Ce n’est pas un état naturel, mais la conséquence d’une stratégie. Et le principal responsable de cette situation, ce sont les pouvoirs publics. L’industrie, finalement, ne fait que son travail, et les pouvoirs publics sont censés mettre des garde-fous pour que l’expertise publique soit faite dans l’intérêt des gens et leur santé. Nanotechnologies, radiofréquences, OGM, médicaments…. Toutes ces questions ont besoin d’une expertise publique indépendante des intérêts privés.

Il faut savoir que l’un des plus gros financeurs de la recherche en Europe, c’est la Commission européenne. Or certaines des conditions mises par l’UE, c’est que les chercheurs bénéficient de partenaires ou de financeurs privés. C’est parfois une condition sine qua non pour avoir de l’argent public. Donc, quoi qu’ils en disent, cela cadre forcément les questions qui vont faire l’objet de la recherche. Par ricochet, cela implique que de l’argent public bénéficie au secteur privé, ce qui n’est pas en soi condamnable. Mais la question politique qui est derrière, c’est que cela peut déboucher sur une amélioration de la productivité des profits d’une entreprise au mépris de standards sanitaires. Or c’est un problème réel.

© Le Journal de l’Environnement


[1] Stéphane Horel est journaliste indépendante spécialisée dans les conflits d’intérêts et les questions d’influence dans le domaine de la santé. Elle travaille actuellement à un documentaire télévisé consacré au processus européen de réglementation des perturbateurs endocriniens.

[2] Adoptée en 2006, elle consiste à enregistrer les produits chimiques auprès de l’UE, dont l’évaluation de la dangerosité se fait au fur et à mesure, en fonction de leur tonnage.

[3] Ces trois comités ont eu à rendre quelques avis spécifiques sur le dossier, mais ils ne font pas partie de la saisine générale, comme cela a pu être le cas pour l’agence européenne de sécurité alimentaire (Efsa).

17 scientifiques critiques de la politique européenne sur les perturbateurs endocriniens liés à l’industrie I Scientists critical of EU chemical policy have industry ties

Dans un éditorial commun, 18 rédacteurs en chef et rédacteurs en chef adjoints de revues scientifiques ont critiqué la Commission européenne sur son projet de régulation des perturbateurs endocriniens. Plus précisément : ils ont attaqué les intentions de la DG Environnement, dont la démarche repose sur le principe de précaution. Le projet de recommandation de la DG Environnement, fuité en juin 2013, est consultable ici (via Environmental Health News).

Le site américain Environmental Health News publie mon enquête sur les liens de ces scientifiques avec l’industrie. La statistique est significative, comme on dit en science : 17 d’entre eux collaborent ou ont collaboré avec diverses industries : chimie, pharmacie, pesticides, cosmétique et même tabac.

EHN logoLire l’enquête (en anglais)

 

Conflits d’intérêts à l’EFSA – les suites

19 décembre 2012

Une analyse détaillée des conflits d’intérêts dans le groupe de de travail sur les perturbateurs endocriniens de l’Agence européenne de l’alimentation (EFSA) a été publiée sur ce site le 11 décembre 2012  (voir l’article).

Jeudi 13 décembre – soit deux jours après la mise en ligne de cette enquête – se réunissait le conseil d’administration de l’EFSA. Lors de son intervention, la directrice exécutive de l’Agence, Catherine Geslain-Lanéelle, a mentionné le cas Josef Schlatter. Selon des documents issus des archives internes de l’industrie du tabac, ce toxicologue suisse, par ailleurs membre du Comité scientifique de l’EFSA, avait bénéficié de financements de recherche de la part des fabricants de cigarettes entre 1972 et 1984. M. Schlatter était alors étudiant. Aujourd’hui cependant, il collabore étroitement avec International Life Sciences institute (ILSI), un groupe de pression des industries agroalimentaire, chimique et pharmaceutique (et ce, depuis 1999). Il est également membre du conseil scientifique d’une structure de lobbying de l’industrie agroalimentaire, le Conseil européen de l’information sur l’alimentation (EUFIC) depuis mars 2009. Et a été consultant Ad-Hoc pour le panel d’expert de la Flavor and Extract Manufacturers Association of the U.S. (Association américaine des producteurs d’arômes et d’extraits – FEMA) de 2009 à 2011. Il l’indique lui-même dans sa déclaration publique d’intérêts du 15.11.2012.

 Schlatter amount USD
 
 
 
 
 (Montant du soutien de l’industrie du tabac pour la recherche de Josef Schlatter et deux autres étudiants entre 1972 et 1974 : 237.500 dollars US. Cliquer sur le document pour l’agrandir. Vous pouvez aussi télécharger l’ensemble des documents issus des archives du tabac concernant Josef Schlatter.)

 

« La déclaration d’intérêts de Josef Schlatter a été scrupuleusement évaluée au regard de nos nouvelles règles », a déclaré Mme Geslain-Lanéelle le 13 décembre. « Il a démissionné de toutes ses activités avec ILSI qui sont considérées comme incompatibles avec ses activités au Comité scientifique. Nous souhaitons réaffirmer notre totale confiance dans sa capacité à livrer un avis scientifique impartial et notre totale confiance dans sa totale [sic] intégrité. » Mme Geslain-Lanéelle est restée muette sur les conflits d’intérêts des autres membres du groupe de travail. C’est fort dommage : sur 18 experts, 8 déclarent des collaborations avec l’industrie et/ou le secteur privé.

Ce nouvel épisode du feuilleton Conflits d’intérêts à l’EFSA  a été couvert par Le Monde. Pour lire les articles de Paul Benkimoun et Stéphane Foucart, suivre ces liens :

Le dernier groupe d’experts constitué par l’EFSA mis en cause pour des conflits d’intérêts

Bisphénol A, phtalates… soupçons d’ingérence industrielle à Bruxelles

Le troublant parcours d’un toxicologue suisse (accès abonnés)

La doctrine de l’autorité européenne de sécurité sanitaire est de plus en plus isolée

Voir aussi l’article de l’ONG Corporate Europe Observatory (en anglais).

Et celui du journaliste Benjamin Sourice Conflit d’intérêts : la récidive de l’EFSA sur son blog hébergé par Rue89 De l’intérêt du conflit.

 

Conflits d’intérêts à l’EFSA – saison 10*

(*L’EFSA fête ses dix ans cet automne)

>>>>>>>>>>> UPDATED English version HERE

  Télécharger le PDF de l’article

11 décembre 2012

(mis à jour le 14 décembre)

L’Agence européenne de l’alimentation (EFSA) a annoncé, le 1er octobre 2012, la mise en place d’un groupe de travail sur les perturbateurs endocriniens – une question devenue hautement politique. Dix de ses dix-huit membres ont des conflits d’intérêts. Le toxicologue suisse Josef Schlatter a bénéficié de financements de l’industrie du tabac pendant douze ans. Et l’activité de recherche scientifique de seulement quatre de ces experts concerne directement le domaine des perturbateurs endocriniens.

Une première réunion préparatoire s’est tenue les 18 et 19 octobre 2012 à Bruxelles afin de déterminer la composition du groupe de travail. Si l’EFSA a publié la liste des membres du groupe le 3 décembre, le compte-rendu des discussions n’est toujours pas en ligne. En matière de transparence, on a déjà fait plus spectaculaire. D’autant que l’existence même de ce groupe est controversée.

* Pour comprendre le contexte de la création de ce groupe de travail, voir plus bas « Le contexte » *

Le « Groupe de travail du Comité scientifique sur les substances actives sur le système endocrinien » (Scientific Committee working group on endocrine active substances) est composé de 18 personnes :

A // Quatre membres du Comité scientifique de l’EFSA

Jan Alexander (président du groupe), Anthony Hardy, Robert Luttik, Josef Schlatter.

B // Trois membres du groupe scientifique « Produits phytopharmaceutiques et leurs résidus » (PPR) de l’EFSA (avec décodeur : le groupe Pesticides)

Karen Hirsch-Ernst, Susanne Hougaard-Benekou, Daniel Pickford.

C // Dix experts

– Jacques Auger – France. Biologiste de la reproduction. Assistance Publique – Hôpitaux de Paris.

– Diane Benford –Grande-Bretagne. Fonctionnaire. Responsable de l’Unité Évaluation des risques chimiques à la Food standards agency.

– Susy Brescia – Grande-Bretagne. Toxicologue au ministère britannique de la Santé (Health & Safety Executive).

– Gisela Degen – Allemagne. Toxicologue. Centre de recherche Leibniz pour l’environnement professionel et le facteur humain à l’Université technique de Dortmund (IfADo).

– Peter Hoet – Belgique. Chercheur. Département de santé publique de l’Université de Louvain.

– Peter Matthiessen – Grande-Bretagne. Écotoxicologue. Consultant. Retraité.

– Wim Mennes – Pays-Bas. Toxicologue. Institut national pour la santé publique et l’environnement des Pays-Bas (RIVM).

– Thomas Platzek – Allemagne. Toxicologue. Directeur de la toxicologie pour les produits de consommation, Institut fédéral allemand pour l’évaluation des risques (BfR).

– Peter Pärt – Danemark. Docteur. Expert détaché. Agence européenne de l’Environnement (EEA).

– Emanuela Testai – Italie. Chercheuse à l’Institut supérieur de la santé de Rome.

– Theo Vermeire – Pays-Bas. Docteur. Institut national pour la santé publique et l’environnement des Pays-Bas (RIVM).

>>>>>>>>>>>> les conflits d’intérêts du groupe de travail <<<<<<<<<<<<

Tous les experts appelés à travailler pour l’EFSA ont pour obligation de remplir une déclaration publique d’intérêts (DPI) – un document où ils consignent leurs collaborations, rémunérées ou non, avec le secteur privé au cours des cinq années précédentes. Le but de l’opération est de permettre à l’EFSA de prévenir tout conflit d’intérêts. Les « omissions » peuvent mener à des sanctions. (Règles de l’EFSA sur les déclarations d’intérêts, 21.02.2012).

1 – Jan Alexander (président du groupe) – Norvège

Docteur. Toxicologue. Directeur général adjoint de l’Institut norvégien de santé publique. Membre de plusieurs groupes de travail à l’EFSA depuis 2006. Vice-président du Comité scientifique de l’EFSA (2012-2015). Pas de conflits d’intérêts dans sa déclaration publique d’intérêts du 9.10.2012.

2 –Jacques Auger – France

Biologiste de la reproduction. Assistance Publique – Hôpitaux de Paris. Pas de conflits d’intérêts dans sa déclaration publique d’intérêts du 4.12.2012.

3 – Diane Benford –Grande-Bretagne

Fonctionnaire. Responsable de l’Unité Évaluation des risques chimiques à la Food standards agency. Membre de plusieurs groupes de travail à l’EFSA depuis 2006.Dans sa déclaration publique d’intérêts du 15.11.2012, elle déclare :

= Membre du groupe d’experts de l’International Life Sciences Institute (ILSI) – Europe « Data Selection for BMD Modelling » au titre de représentante de la Food Standards Agency (09/2009 – 04/2012).

>> ILSI est un groupe de pression de l’industrie (voir encadré 1 sur ILSI ci-dessous).

= Membre du groupe d’experts ILSI Europe « Margin of Exposure approach to substances that are genotoxic and carcinogenic », au titre de représentante de la Food Standards Agency (07/2006 – 01/2010).

La déclaration de Diane Benford souffre de quelques « omissions » :

= Co-auteur d’une publication ILSI : Benford D, Bolger PM, Carthew P, Coulet M, DiNovi M, Leblanc JC, Renwick AG, Setzer W, Schlatter J, Smith B, Slob W, Williams G, Wildemann T. Application of the Margin of Exposure (MOE) approach to substances in food that are genotoxic and carcinogenic. Food Chem Toxicol. 2010 Jan;48 Suppl 1:S2-24. Review. L’un de ses co-auteurs, Josef Schlatter, est également membre du groupe de travail de l’EFSA (voir plus bas : Josef Schlatter).

= Membre du comité éditorial de la revue scientifique« Regulatory Toxicology and Pharmacology ».

>> Regulatory Toxicology and Pharmacology est une revue capturée par l’industrie (voir encadré 2 ci-dessous).

= Intervenante pour ILSI au congrès EUROTOX 2008. « Overview of the work of the export group on MoE and report back on the workshop ». (Eurotox 2008 Report)

= Présidente du groupe d’expert au Workshop ILSI « Application of the Margin of Exposure (MOE) Approach to Compounds in Food which are both Genotoxic and and Carcinogenic » 1-3/10/2008, Rhodes, Grèce.

>> Avant 2007 :

= Co-présidente de la troisième réunion plénière trois de FOSIE, un projet de recherche ILSI co-financé par la Commission européenne. Lisbonne, Portugal, 23-25/10/2002. (ILSI Europe-Newsletter49. Février 2003)

= Auteur en 2001 d’une monographie pour ILSI « Principles of risk assessment of food and drinking water related to human health ». ILSI Europe concise monograph series, 2001.

= Auteur en 2000 d’une monographie pour ILSI « The acceptable daily intake : a tool for ensuring food safety ». ILSI Europe concise monograph series, 2000.

Encadré 1 / International Life Sciences Institute (ILSI)
 
Créé en 1978 à l’initiative de grands groupes agroalimentaires américains comme Heinz, Procter & Gamble, General Foods et Kraft Foods, ILSI est au départ largement contrôlé par Coca-Cola. Jusqu’en 1991, ILSI est d’ailleurs dirigé par Alex Malaspina, l’un des vice-présidents de la multinationale d’Atlanta.
Les sources de financement d’ILSI se sont, depuis, diversifiées : les principales multinationales de l’agroalimentaire (Coca-Cola, Danone, Kraft Foods, Ajinomoto, leader mondial des additifs alimentaires), de la chimie (BASF, Dow Chemicals, DuPont…), des pesticides et OGM (Monsanto, Bayer CropScience, Syngenta…), des détergents (Procter & Gamble, Unilever), du médicament (Pfizer, Merck…), et même du pétrole (Exxon Mobil) en sont membres. (Source : Rapport annuel ILSI 2011).
Mis à part l’Antarctique, tous les continents hébergent une branche d’ILSI, dont le siège se trouve à Washington. Son bureau européen a ouvert à Bruxelles en 1986.
ILSI se présente comme une « fondation mondiale à but non lucratif » qui « rassemble des scientifiques des universités, des gouvernements, de l’industrie et du secteur public » et recherche « une approche équilibrée pour résoudre les problèmes d’intérêt commun au profit du bien-être de la population ».
C’est en fait un groupe de pression à la stratégie sophistiquée. Et efficace : de nombreux experts de l’EFSA travaillent pour lui. Jusqu’à la présidente du conseil d’administration de l’Agence, Diana Banati. Au cours d’une conférence de presse en septembre 2010, l’eurodéputé Vert José Bové révélait qu’elle était également membre du conseil d’administration d’ILSI. Nommé directrice exécutive et scientifique d’ILSI, Diana Banati a démissionné de l’EFSA en mai 2012.
>> Pour de plus amples détails sur les rapports de l’EFSA avec ILSI, lire le rapport de Corporate Europe Observatory et EarthOpenSource – Conflicts on the menu. Versions en français et en anglais sur cette page).
 
 
Encadré 2 / The International Society of Regulatory Toxicology & Pharmacology et la revue Regulatory Toxicology and Pharmacology
 
« Regulatory Toxicology and Pharmacology » est une revue capturée par l’industrie et dirigée par Gio Gori, un scientifique qui a longtemps œuvré pour l’industrie du tabac. (Source : David Michaels. Doubt is their product. Oxford University Press, 2008). Le propriétaire de la revue, la International Society of Regulatory Toxicology & Pharmacology (ISRTP) est une association dominée par des scientifiques qui travaillent pour l’industrie et les firmes de consultants qu’elle emploie. L’ISRTP a organisé plusieurs workshops sur les perturbateurs endocriniens où intervenaient des représentants de firmes comme Monsanto et Dow Chemicals ou de cabinets de conseil en régulation pour l’industrie comme Exponent, Gradient Corp et The Weinberg group.

4 – Susy Brescia – Grande-Bretagne

Toxicologue au ministère britannique de la Santé (Health & Safety Executive). Pas de conflit d’intérêts mentionnés dans sa déclaration du 14.11.2012.

Elle omet de signaler :

= Speaker et modératrice de débat lors d’un workshop d’ECETOC sur les pertubateurs endocriniens, « Risk assessment of endocrine disrupting chemicals » (Florence 9-10/05/2011 – Rapport du Workshop). ECETOC est une organisation de lobbying de l’industrie chimique.

>> Daniel Pickford était également présent à ce workshop, mais seulement pour y assister. Il l’a cependant signalé dans sa déclaration d’intérêts (voir plus bas : Daniel Pickford).

>> Par ailleurs, en tant qu’employée du ministère de la Santé britannique, Susy Brescia représente la position de son pays. Or la Grande-Bretagne a fait connaître sa position officielle sur la question des critères des perturbateurs endocriniens en mai 2011 (>>pour comprendre de quoi il s’agit exactement, voir plus bas « Le contexte »). Dans un document conjoint avec l’Institut fédéral allemand pour l’évaluation des risques (BfR), la Grande-Bretagne s’est prononcée pour l’adoption de critères de sélection basés sur des seuils de puissance. Parce qu’elle permet à de nombreux produits chimiques de passer entre les mailles du filet d’une régulation plus stricte, cette approche a les faveurs de l’industrie. Elle est sévèrement critiquée par les ONG et par l’un des grands experts de la question, le Pr Andreas Kortenkamp, qui estime qu’elle est « largement arbitraire et injustifiable d’un point de vue scientifique ».

Susy Brescia est également membre du groupe AdHoc de la DG Environnement de la Commission européenne sur la définition et les critères des perturbateurs endocriniens (>>idem : pour comprendre de quoi il s’agit, voir plus bas « Le contexte »). Puisqu’elle représente son pays, on peut difficilement imaginer qu’elle adopte une position indépendante. Elle a d’ailleurs présenté en personne la proposition britannique lors d’un workshop de la Food Standards Agency sur les perturbateurs endocriniens le 19 octobre 2010.

5 – Gisela Degen – Allemagne

Toxicologue. Centre de recherche Leibniz pour l’environnement professionel et le facteur humain à l’Université technique de Dortmund (IfADo). Membre du Comité scientifique pour la sécurité des consommateurs – SCCS (Commission européenne). Dans sa déclaration publique d’intérêts du 23.10.2012, Gisela Degen déclare :

= Financement d’un projet de recherche sur l’exposition aux phyto-œstrogènes chez les enfants pendant et après la puberté par le CEFIC / Long-range research initiative (LRI) (07/2007 – 12/2009).

>> Le Conseil Européen de l’Industrie Chimique (CEFIC) est l’organisation européenne des industries chimiques. Il emploie 72 personnes pour ses activités de lobbying à Bruxelles. Activités auxquelles il consacre 6 millions d’euros, selon les informations qu’il a livré sur une base volontaire au registre de transparence du Parlement européen.

6Anthony Hardy – Grande-Bretagne

Professeur honoraire. Travaillait au département (ministère) britannique de l’Environnement, de l’Alimentation et des Affaires rurales (DEFRA). Membre de plusieurs groupes de travail à l’EFSA depuis 2006. Président du Comité scientifique de l’EFSA (2012-2015). Intérêts déclarés à l’EFSA (déclaration publique d’intérêts du 28.11.2012) :

= Membre d’un groupe de travail ILSI (« Task Force on Evaluation of Agronomic Practices for Mitigation of Natural Toxins ») 09/2008 – 10/2010. (Evaluation of Agronomic Practices for Mitigation of Natural Toxins)

= Directeur du Centre for Low Carbon Futures, un organisme public à l’Université de York (04-2009 – 01/2010).

>> La déclaration d’Anthony Hardy ne mentionne pas que le centre bénéficie du soutien d’une centaine de partenaires privés. On notera également, parmi les membres du comité consultatif international de ce centre, Ian Johnson, directeur des opérations chez Coca-Cola.

= Président non-rémunéré de Venturefest Yorkshire, une organisation sans but lucratif, depuis septembre 2009.

>> Dans sa déclaration, Anthony Hardy explique que Venturefest Yorkshire organise un événement annuel d’une journée regroupant des entrepreneurs des secteurs « techniques, informatiques et créatifs » du Yorkshire. Les sponsors de l’édition 2013 sont en majorité des sociétés d’investissement et des organisations commerciales. Par ailleurs, l’événement Venturefest Yorkshire est organisé par York Professionals, dont la raison d’être est, selon son site internet, de « promouvoir les opportunités d’affaires (« Promoting business opportunities »). Anthony Hardy en est l’un des directeurs, ce qu’il ne signale pas non plus.

7 – Karen Hirsch-Ernst – Allemagne

Toxicologue. Institut fédéral allemand pour l’évaluation des risques (BfR). Membre du Groupe Produits phytopharmaceutiques et leurs résidus – PPR / Pesticides de l’EFSA. Membre de plusieurs groupes de travail à l’EFSA depuis 2009. Pas de conflits d’intérêts dans sa déclaration publique d’intérêts du 16.10.2012.

Conflit d’intérêt intellectuel, en revanche, comme Susy Brescia (voir plus haut : Susy Brescia) : l’Institut fédéral allemand pour l’évaluation des risques (BfR), dont Mme Hirsch-Ernest est salariée, a fait connaître sa position officielle sur la question des critères des perturbateurs endocriniens en mai 2011 (>> pour comprendre de quoi il s’agit exactement, voir plus bas « Le contexte »). Dans un document conjoint avec la Grande-Bretagne, le BfR se prononce pour l’adoption de critères de sélection basés sur des seuils de puissance. Parce qu’elle permet à de nombreux produits chimiques de passer entre les mailles du filet d’une régulation plus stricte, cette approche a les faveurs de l’industrie. Elle est sévèrement critiquée par les ONG et par l’un des grands experts de la question, le Pr Andreas Kortenkamp, qui estime qu’elle est « largement arbitraire et injustifiable d’un point de vue scientifique ».

Mme Hirsch-Ernst a également co-signé un article dans la littérature scientifique sur les critères de sélection favorisés par le BfR. Elle a donc été personnellement impliquée dans l’élaboration de la prise de position de l’Institut.

C’est d’ailleurs au titre de représentante du BfR que Mme Hirsch-Ernest est aussi membre du groupe AdHoc de la DG Environnement de la Commission européenne sur la définition et les critères des perturbateurs endocriniens (>>idem : pour comprendre de quoi il s’agit, voir plus bas « Le contexte »). On peut difficilement imaginer qu’elle adopte une position différente de celle de son employeur.

8 – Peter Hoet – Belgique

Chercheur. Département de santé publique de l’Université de Louvain. Membre du Comité scientifique des risques sanitaires émergents et nouveaux – SCENIHR (Commission européenne). Dans sa déclaration publique d’intérêts du 28.11.2012, Peter Hoet déclare :

= Membre du conseil d’administration de BelTox, la société belge de toxicologie et d’écotoxicologie.

>> Les sponsors de BeltTox sont les firmes Janssen Pharmaceutica, Solvay (sponsors platina), Eusapharma, UCB, GlaxoSmithKline Vaccines (sponsors gold), Umicore, Total Petrochemicals, ECETOC (sponsors silver). Voir les « sponsors bronze » sur le site de BelTox.

9 – Susanne Hougaard-Benekou – Danemark

Toxicologue. Agence danoise de l’environnement. Membre de plusieurs groupes de travail à l’EFSA depuis 2009. Membre du Groupe Produits phytopharmaceutiques et leurs résidus – PPR / Pesticides de l’EFSA. Pas de conflits d’intérêts dans sa déclaration publique d’intérêt du 8.10.2012.

10– Robert Luttik – Pays-Bas

Écotoxicologue. Institut national pour la santé publique et l’environnement des Pays-Bas (RIVM). Membre de plusieurs groupes de travail à l’EFSA depuis 2009. Pas de conflits d’intérêts dans sa déclaration publique d’intérêts du 15.11.2012.

11 – Peter Matthiessen – Grande-Bretagne

Écotoxicologue. Consultant. Retraité. Dans sa déclaration publique d’intérêts du 22.10.2012, il indique :

= Consultant pour la société Regulatory Science associates (RSA), qui exécute des contrats pour des firmes chimiques et pharmaceutiques (05/2012 – 09/2012).

12 – Wim Mennes – Pays-Bas

Toxicologue. Institut national pour la santé publique et l’environnement des Pays-Bas (RIVM). Membre de plusieurs groupes de travail à l’EFSA depuis 2008.Pas de conflits d’intérêts dans sa déclaration publique d’intérêts du 30.10.2012.

13 – Daniel PickfordGrande-Bretagne

Écotoxicologue. Enseignant à l’Université de Brunel – Institut pour l’Environnement. Membre du Groupe Produits phytopharmaceutiques et leurs résidus – PPR / Pesticides de l’EFSA. Dans sa déclaration publique d’intérêts du 16.10.2012, Daniel Pickford déclare :

= Supervision de recherche financée par Syngenta. £35,000 sur trois ans versés à l’Université de Brunel (05/2006 – 05/2009).

= Invité à assister au Workshop « Évaluation des risques des perturbateurs endocriniens » de ECETOC (9-10/05/2011). Le Centre européen d’écotoxicologie et de toxicologie des produits chimiques (ECETOC) est une organisation de lobbying de l’industrie chimique.

>> Des collaborations qu’il indiquait dans sa déclaration publique d’intérêts du 2.05.2012 ne figurent plus dans sa déclaration du 16.10.2012 (NB : Selon les règles de l’EFSA, seules les collaborations des cinq années qui précédent doivent être signalées).

= Activités de consultant pour Syngenta (09/2003 – 05/2005).

= Employé chez AstraZeneca (02/1999 – 06/2003).

>> Lors de cette période chez AstraZeneca, Daniel Pickford a réalisé deux études sur des fonds privés :

= Étude sur la toxicité du bisphénol-A sur la grenouille pour le CEFIC (l’organisation européenne des industries chimiques), et le groupe de travail Bisphénol-A dans l’environnement de la Society of the Plastics Industry (£89,000 en 2000). (Source : Onglet « research »).

= Étude sur l’escargot de mer pour le Bisphenol A Environmental Research Task Group de l’American Plastics Council (£174,000 en 2002). (Source : Onglet « research »).

14 – Thomas Platzek – Allemagne

Toxicologue. Directeur de la toxicologie pour les produits de consommation, Institut fédéral allemand pour l’évaluation des risques (BfR). Pas de conflits d’intérêts dans sa déclaration publique d’intérêts du 16.10.2012.

Cependant, Thomas Platzek, tout comme Karen Hirsch-Ernst, est employé de l’Institut fédéral allemand pour l’évaluation des risques (BfR) qui a pris position pour des critères de sélection basés sur des seuils de puissance pour les perturbateurs endocriniens (>> voir ci-dessus : Karen Hirsch-Ernst).

15 – Peter Pärt – Danemark

Docteur. Expert détaché. Agence européenne de l’Environnement (EEA). Pas de conflits d’intérêts dans sa déclaration publique d’intérêts du 12.10.2012.

16 – Josef Schlatter – Suisse

Toxicologue. Office fédéral de la santé publique suisse. Membre de plusieurs groupes de travail à l’EFSA depuis 2009. Sa déclaration publique d’intérêts du 15.11.2012 égrène de nombreux conflits d’intérêts ainsi qu’une étroite collaboration avec ILSI depuis plus d’une décennie :

= Membre du groupe d’expert ILSI EUROPE sur l’application des seuils de préoccupation toxicologique (Thresholds of toxicological concern, ou TTC) dans les cosmétiques (11/2011 – 04/2012). Ce travail a été réalisé dans le cadre de COSMOS, un projet de recherche financé conjointement par la Commission européenne et Cosmetics Europe (Fédération européenne des industriels des cosmétiques).

>> Josef Schlatter omet de préciser que le projet compte, parmi ses « partenaires », les firmes Henkel et Merck. (Source : Partenaires du projet COSMOS)

>> Plus important, ILSI est le principal promoteur du concept des Thresholds of Toxicological Concern (TTC), qu’il a inventé au milieu des années 1990. Les TTC visent à déterminer un seuil au-dessous duquel aucun test de toxicité ne serait requis pour la mise sur le marché d’une substance chimique. Cette approche évacue de fait toute possibilité qu’une substance puisse avoir des effets à faibles doses. En 2008, curieusement, l’EFSA a ressenti la nécessité de créer un groupe de travail sur les TTC. Une enquête fouillée de l’ONG PAN-Europe a révélé en 2011 des conflits d’intérêts majeurs au sein ce groupe. Plusieurs de ses membres avaient activement promu les TTC pour le compte d’ILSI. Parmi eux : Josef Schlatter, co-signataire plusieus articles sur les TTC (Kroes 2004, ILSI 2000, Dybing 2002 avec comme co-auteur un employé de Syngenta, John Doe). Voir aussi l’article du Mondeoù Stéphane Foucart raconte au passage que la présidente du groupe, Susan Barlow, a travaillé pour Philip Morris jusqu’à la fin des années 1990.

= Membre non rémunéré du conseil d’administration et du comité pour le programme stratégique et la gestion du Health and Environmental Sciences Institute (HESI), une structure l’ILSI. Recherche scientifique sur une série de questions sanitaires et environnementales, des questions générales pour la plupart. » (01/ 2008 – 04/2012). (Liste des membres du conseil d’administration de HESI en 2011)

= Membre du groupe d’experts ILSI Europe « Application of the Scientific Criteria to Food Allergens of Public Health Importance » (07/2007 – 04/2012) et du comité d’expert « Eliciting Dose of Allergens in Food (07/2003 – 7/2007).

= Membre du groupe ILSI Europe « Risk Assessment of Genotoxic Carcinogens Task Force » et de certains de ses groupes d’experts : « Margin of Exposure approach to substances that are genotoxic and carcinogenic », « Data Selection for BMD Modelling » (07/2002 – 04/2012). Ce travail, auquel participait aussi Diane Benford, a donné lieu à une publication ILSI : Benford D, Bolger PM, Carthew P, Coulet M, DiNovi M, Leblanc JC, Renwick AG, Setzer W, Schlatter J, Smith B, Slob W, Williams G, Wildemann T. Application of the Margin of Exposure (MOE) approach to substances in food that are genotoxic and carcinogenic. Food Chem Toxicol. 2010 Jan;48 Suppl 1:S2-24. Review. (Voir ci-dessous : Diane Benford).

= Intervenant dans les worskshops, réunions annuelles et congrès organisés par HESI ou ILSI (01/1999 – 06/2011).

= Membre du groupe ILSI Europe « Process-related Compounds and Natural Toxins Task force » (01/1999 – 04/2012).

= Membre du Comité consultatif scientifique « Nutrition, food safety, natural toxins in food » d’ILSI Europe (01/1999 – 12/2010).

= Membre du conseil scientifique du Conseil européen de l’information sur l’alimentation (EUFIC) depuis mars 2009.

>> Dans sa déclaration d’intérêts, Josef Schlatter présente EUFIC comme une « société à but non lucratif ». C’est en fait une structure de lobbying de l’industrie agroalimentaire financée par AB Sugar, Ajinomoto Sweeteners Europe, Bunge, Cargill, Cereal Partners, Coca-Cola, Danone, DSM Nutritional Products Europe Ltd., Ferrero, Kraft Foods, Mars, McDonald’s, Nestlé, PepsiCo, Pfizer Animal Health, Südzucker et Unilever (Liste des membres 2012).

= Consultant Ad-Hoc pour le panel d’expert de la Flavor and Extract Manufacturers Association of the U.S. (Association des producteurs d’arômes et d’extraits – FEMA) (10/2009-09/2011).

= Membre de l’International Society of Regulatory Toxicology & Pharmacology (ISRTP), depuis janvier 1998.

>> Josef Schlatter présente cette société comme une « société savante » mais l’ISRTP est une association dominée par des scientifiques qui travaillent pour l’industrie (voir encadré 2 ci-dessus)

= Enfin, Josef Schlatter a longtemps travaillé avec l’industrie du tabac, ce qui n’est jamais d’une folle élégance dans le CV d’un scientifique. Cette collaboration datant du début de sa carrière, il n’avait aucune obligation de la mentionner dans sa déclaration d’intérêts à l’EFSA. Voilà cependant quelques précisions glanées au cours de cette enquête et qu’il serait dommage de ne pas partager. Josef Schlatter a bénéficié de financements de l’industrie du tabac entre 1972 et 1984. Sa thèse, en 1973, porte sur les effets de la nicotine (Réf. A). Menés sous la direction du Pr Bättig à l’Institut fédéral suisse de technologie de Zürich (ETH), ses travaux de recherche sont financés à hauteur de 237.500 dollars US entre 1972 et 1974 (Réf. B). Dans les années qui suivent, Josef Schlatter obtient plusieurs subsides de recherche auprès de la Commission scientifique de l’Association suisse des fabricants de cigarettes de Fribourg (Réf C). En 1983, il rédige un article sur le tabagisme passif à la demande de l’industrie (Réf. D). Un document daté de 1984 explicite qu’une étude sur le tabagisme passif menée par Josef Schlatter a pour but d’être « utilisé[e] comme source d’arguments pour des articles de presse vulgarisés ». « L’industrie doit “se mouiller”, car à présent, l’opinion publique est informée unilatéralement. Le travail de M. Schlatter démontre une nouvelle fois que la fumée du tabac peut être gênante, mais elle n’est pas nocive », rapporte le document (Réf. E-F). La présence de Josef Schlatter à des réunions du « Groupe de travail Cigarettes » de l’industrie suisse du tabac est documentée jusqu’en novembre 1985 (Réf G). En 1990, M. Schlatter occupe un poste à l’Office fédéral de la santé publique suisse… où il est l’un des interlocuteurs des industriels du tabac sur les questions de régulation des additifs dans les cigarettes (Réf H). (Télécharger les documents en .zip)

17 – Emanuela Testai – Italie

Chercheuse à l’Institut supérieur de la santé. Experte pour l’EFSA depuis 2010.Pas de conflits d’intérêts dans sa déclaration publique d’intérêts du 13.11.2012.

18 – Theo Vermeire – Pays-Bas

Docteur. Institut national pour la santé publique et l’environnement des Pays-Bas (RIVM). Membre du Comité scientifique des risques sanitaires émergents et nouveaux – SCENIHR (Commission européenne). Pas de conflits d’intérêts dans sa déclaration publique d’intérêts du 16.10.2012.

 

>>>>>>>>>>>>> conclusion en chiffres <<<<<<<<<<<<<<

Sur dix-huit membres, huit déclarent des collaboration avec l’industrie / le secteur privé : Diane Benford, Susy Brescia, Gisela Degen, Anthony Hardy, Peter Hoet, Peter Matthiessen, Daniel Pickford, Josef Schlatter. Dont trois avec ILSI.

Trois experts sont en situation de conflit d’intérêt intellectuel en raison de la position prise par leur pays et/ou leur organismes de tutelle : Susy Brescia (Grande-Bretagne), Karen Hirsch-Ernst et Thomas Platzek, Institut fédéral allemand pour l’évaluation des risques (BfR), Allemagne.

L’EFSA n’a apparemment pas jugé utile d’inclure un expert en endocrinologue humaine. Un choix pour le moins étonnant.

Elle a en revanche enrôlé trois écotoxicologues – qui étudient l’impact des produits chimiques sur l’environnement (Robert Luttik, Peter Matthiessen, Daniel Pickford).

Seul quatre experts du groupe ont directement mené une recherche scientifique sur les perturbateurs endocriniens (Jacques Auger, Peter Matthiessen, Daniel Pickford, Emanuela Testai).

Enfin, on peut se demander si le compte des pays représentés au sein du groupe reflète un choix politique de la part de l’EFSA. Le groupe est dominé par les Britanniques (5) et les Allemands (3) – dont les positions sur les critères des perturbateurs endocriniens sont on ne peut plus claires. Il y a ensuite : trois Néerlandais, deux Danois, un Norvégien, un Belge, un Suisse, une Italienne. Dans la première version de la liste (3 décembre), la France était absente du groupe. Le nom du Français Jacques Auger – un spécialiste des questions de fertilité masculine – a été rajouté jeudi 6 décembre. Pourquoi l’Institut national pour la santé publique et l’environnement des Pays-Bas (RIVM) aurait-il trois représentants, le BfR allemand deux et l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) française aucun ?

Notons que l’ANSES reconnaît les effets à faibles doses du bisphénol-A depuis septembre 2011(Rapport d’expertise collective sur les effets du bisphénol-A). Ce qui n’est pas le cas de l’EFSA. En 2007, l’EFSA a même remonté la dose journalière admissible du bisphénol-A de 10 à 50µg/j et réaffirmé la sécurité du produit chimique en dépit de nombreuses études montrant ses effets à faibles doses (Références scientifiques sur les effets à faible dose du bisphénol-A répertoriées par Fred vom Saal en octobre 2006. Pour la dernière mise à jour d’avril 2012, aller sur le site de Fred Vom Saal).

Les conclusions du « Groupe de travail du Comité scientifique sur les substances actives sur le système endocrinien » de l’EFSA seront rendus publiques en mars 2013.

>>>>>>>>>> Pour toute utilisation de ces informations, merci de citer votre source : Stéphane Horel, journaliste indépendante.

>>>>>>>>>>>>>>>>> le contexte <<<<<<<<<<<<<<<<

Il reste un an à la Commision européenne pour attribuer aux perturbateurs endocriniens une définition et des critères précis. Ça n’a l’air de rien comme ça, mais la tâche est ardue. D’autant que cette décision aura un impact sur la régulation de l’ensemble des produits chimiques dans l’Union européenne.

Avec des mots simples, disons que les perturbateurs endocriniens sont des substances qui piratent le système hormonal et jouent avec le niveau d’hormones sécrétées par l’organisme. Les hormones, ce sont les œstrogènes, la testostérone, l’insuline, les stéroïdes, les hormones thyroïdiennes etc. Il en existe une cinquantaine. Nul besoin d’avoir bac + 15 pour comprendre que des variations non programmées de leurs taux peuvent avoir un impact. En particulier pendant la grossesse : les hormones jouent un rôle crucial au moment du développement du fœtus. Les perturbateurs endocriniens sont aujourd’hui reliés à de nombreuses maladies « modernes » : baisse de fertilité masculine, malformations génitales des petits garçons, cancers (testicules, sein, prostate, thyroïde), obésité, diabète, développement du cerveau. À ce jour, les scientifiques ont identifié environ 870 perturbateurs endocriniens, mais il en existe sans doute bien plus. (Pour des explications plus détaillées sur ces substances, voir le dossier du Réseau Environnement Santé ou mon documentaire La Grande Invasion)

Avec des mots plus savants, la Société d’endocrinologie dit : « un perturbateur endocrinien est une substance chimique extérieure, ou une mixture de substances, qui interfère avec tout aspect de l’action hormonale » (« An endocrine-disrupting chemical (EDC) is an exogenous chemical, or mixture of chemicals, that interferes with any aspect of hormone action »). (Endocrine-Disrupting Chemicals and Public Health Protection: A Statement of Principles from The Endocrine Society).

Mais tout le monde n’est pas d’accord sur le choix des mots. Une définition scientifique est une chose. Une définition destinée à servir dans le cadre d’une réglementation en est une autre.

Or de ce choix dépend la régulation de centaines de substances chimiques d’usage quotidien. Phtalates et bisphénol-A sont les plus connus du grand public. Mais la décision concerne aussi les pesticides et les biocides – ce doux nom recouvrant les pesticides destinés à tuer cafards, puces et autres petites bêtes dans nos intérieurs.

Dans quelle mesure, en ces temps de crise, les enjeux économiques vont-ils peser dans le choix des mots à Bruxelles ? C’est bien là toute la question.

La Direction (ou DG) Environnement a inauguré le processus en 2011 en constituant un groupe de travail. La DG peut s’appuyer sur un rapport qu’elle a commandité au Pr Andreas Kortenkamp (State of the Art of the Assessment of Endocrine Disruptors). En juin 2012, elle a organisé une importante conférence. Elle comptait clore ce travail début 2013.

Bref. Tout était sur les rails jusqu’au 1er octobre 2012. Prenant l’ensemble des acteurs par surprise, l’Agence européenne de l’alimentation (EFSA) annonce que, elle aussi, met en place un groupe de travail sur les perturbateurs endocriniens. C’est sa direction de tutelle, la DG SANCO (Santé et Consommateurs) qui l’a mandatée.

Or il s’agit pas d’une simple guéguerre bureaucratique – la DG SANCO qui marcherait sur les plates-bandes la DG Environnement. C’est surtout un court-circuitage en bonne et due forme du processus conduit par la DG Environnement qui a choqué l’ensemble des ONG européennes (Lettre des ONG aux Commissaires Dalli et Potočnik).

En cet automne 2012, l’EFSA fête ses 10 ans dans le déni total de sa gestion plus que contestable des conflits d’intérêts. Le Parlement européen s’en est ému, qui a refusé en avril 2012 de voter la décharge budgétaire de l’Agence pour cette raison. La Cour des comptes européennes aussi. Le 11 octobre 2012, elle publiait un rapport spécial sur « la gestion des confilts d’intérêts dans une sélection d’agence de l’UE », dont l’EFSA, où elle jugeait que « les agences de l’UE sélectionnées ne géraient pas les situations de conflit d’intérêts de manière appropriée ». Les ONG, de leur côté, n’ont de cesse de documenter les conflits d’intérêts à l’EFSA et leurs conséquences potentielles sur la santé de la population européenne. (Lire le rapport détaillé des ONG Corporate Europe Observatory et EarthOpenSource Conflicts on the menu. Versions en français et en anglais sur cette page). Une vingtaine d’ONG ont troublé les festivités organisées en novembre 2012 à Parme pour l’anniversaire de l’Agence et ont appelé à des changements radicaux dans l’organisation de l’EFSA.

Pour mémoire, l’EFSA est chargée de l’autorisation de milliers de produits qui se retrouvent dans l’alimentation : OGM, pesticides, additifs, produits issus des nanotechnologies. C’est également elle qui suit le dossier du bisphénol-A.

Bonus / Une vidéo officielle où l’EFSA explique ce qu’est l’indépendance :